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Bulletin numéro 12 |
Septembre 1966 |
Raoul GERMOND |
Maitres d'école et instructeurs de jeunesse.
Nomination d'un instituteur communal en l'an XI de la République
"Le 9 brumaire de l'an XI, le Conseil Municipal, légalement convoqué, étant assemblé sous la présidence du citoyen Marsallacq, adjoint, celui-ci exposa qu'aux termes de la loi du 11 floréal an X sur l'instruction publique, le maire et les conseillers municipaux étaient chargés du choix des instituteurs primaires et avaient à statuer sur le traitement qu'il convenait de leur assurer et la rétribution qui leur était due par les parents des élèves ..."
Ainsi débute le compte-rendu de la séance du Conseil Municipal de Mauzé au cours de laquelle fut nommé notre premier instituteur communal. Mais ouvrons ici une longue parenthèse. La loi du 11 floréal venait de réorganiser l'enseignement à tous les degrés. Cette réorganisation était souhaitée depuis le commencement de la Révolution. La Constitution de 1791 ne contenait pas de loi scolaire. Divers projets avaient été esquisses en 1795, en l'an II, et l'an III, mais, les périodes troublées de la Convention et du Directoire étant évidemment peu favorables à leur patiente élaboration, ils n'avaient pas abouti. Il avait fallu attendre le Consulat pour réviser et instituer dans le domaine scolaire, comme on faisait en même temps dans tous les autres domaines.
Sous l'Ancien Régime, dans un bourg comme Mauzé, il pouvait y avoir trois sortes d'écoles : école abbatiale, écoles de charité, petites écoles. Il est possible qu'avant les guerres de religion, le prieuré de St-Pierre, qui comptait alors une dizaine de religieux, ait eu son école, dispensant gratuitement une instruction élémentaire, préparant peut-être les sujets les plus doués à devenir clercs. Mais on sait que les bâtiments conventuels furent détruits par les Protestants en 1568. Le prieuré de St-Pierre ayant été uni au monastère des Feuillants de Poitiers, en 1617, le principal souci des nouveaux religieux fut, semble-t-il, d'en percevoir les revenus. Ils ne relevèrent pas le monastère de ses ruines et remirent à plus tard la reconstruction de l'église. Réduisant leurs obligations au strict minimum, ils se contentaient d'assurer le service divin et un vague service hospitalier. Si une école abbatiale avait peut-être existé au prieuré de St-Pierre du temps des Augustins, il paraît à peu près certain qu'au 17ème siècle elle avait disparu.
À cette époque, les protestants, qui étaient à Mauzé, sinon les plus nombreux, du moins les plus aisés et les plus influents, avaient leur maître d'école. Nous en sommes sûrs, car le dernier de ces instituteurs, Jean Migault, a-laissé un journal où il raconte les malheurs de sa famille au temps des dragonnades. Le document qui contient sur les évènements contemporains de la Révocation de l'Édit de Nantes des renseignements du plus haut intérêt pour l'histoire de Mauzé (1).
Le père de Jean Migault était un maître d'école protestant qui s'était établi à Moulay, paroisse de Fressines, ou il avait acheté une maison. Il y mourut en 1662, à l'âge de soixante ans. Son fils, qui n'avait pourtant que dix-huit ans, lui succéda.
Il épousa, en janvier 1665, Élisabeth Fourestier, de quelques mois son aînée. La mère aidait le jeune ménage. "Elle nous était de la plus grande utilité pour tous le détail de l'économie domestique car nous étions trop jeunes pour nous entendre beaucoup à gouverner les nombreux pensionnaires et externes qui avaient déjà été confiés à mes soins.
Jean Migault demeura à Moulay de 1663 à 1681. A partir de 1670, il ajouta à son activité d'enseignant la charge de notaire.
Non pas notaire royal : une déclaration du Roi excluait les protestants de tous les emplois civils; mais notaire de la seigneurie de Mougon. C'est à Mougon que se trouvait le temple de l'Église réformée. Jean Migault vint s'y installer en 1681. Le consistoire lui offrait un traitement de 60 livres pour y assurer les fonctions de lecteur et de secrétaire.
Mais le temps approchait où Louis XIV allait révoquer l'Édit de Nantes; déjà les dragonnades avaient commencé. Sa maison ayant été occupée par les soldats, Jean Migault se réfugie au château du Grand-Breuil qui appartenait à Mme de la Bessière. C'était au mois d'août 1681. À ce moment, la communauté protestante de Mauzé se trouvait dans l'embarras, car l'instituteur s'était converti au catholicisme. Jean Migault fut invité par le consistoire a se charger des enfants de Mauzé. Il accepta. Au début de l'année 1682, il vint s'établir dans une maison appelée le Breuil-Barrabin, qui appartenait à un membre de la famille de Ranques (2) "Le ciel voulut, écrit-il, que nous gagnassions le cœur de tous les habitants."
Externes et pensionnaires affluèrent à l'école du Breuil-Barrabin.
Hélas ! Le dévoué maître d'école n'allait pas tarder à-connaître de nouvelles difficultés, de nouveaux malheurs. En février 1685, sa femme mourut en mettant au monde leur quatorzième enfant. Dix autres étaient encore vivants, dont deux n'avaient pas encore cinq ans. Le veuf pouvait heureusement compter sur la sympathie agissante de la communauté. Mais des difficultés d'un autre ordre avaient surgi : une déclaration royale du 11 janvier 1683 faisait défense à tout instituteur protestant de recevoir des pensionnaires dans sa maison.
"Je distribuai, dit Jean Migault, mes pensionnaires dans trois maisons différentes, en attendant les instructions de leurs parents qui demeuraient tous assez loin de Mauzé. Ils vinrent aussitôt voir leurs enfants et, approuvant la manière dont je les avais placés, me prièrent de continuer leur éducation.
"Quelques mois après, l'instituteur catholique, cet apostat qui, plusieurs années auparavant, avait renoncé à la religion protestante, me fit citer, par le ministère du procureur fiscal, devant le juge de Mauzé comme éludant les dispositions de la déclaration royale en permettant à mes élèves de chanter des psaumes et en leur donnant des leçons de musique, alors que je devais me borner à l'enseignement de l'écriture et de l'arithmétique."
La persécution s'intensifiait; on se disait à Mauzé que l'arrivée des dragons n'était sans doute plus être très éloignée.
"Je congédiai tous mes élèves logés dans différentes auberges et dont le nombre s'était élevé jusqu'à vingt (cette affluence provenait des persécutions exercées dans les villes voisines ou aucun instituteur n'osait continuer à exercer son état.) Je renvoyai ces enfants à leurs familles respectives et je fis d'autres dispositions pour être en état de quitter ma maison à la première apparition des dragons."
Il parvint notamment à mettre ses onze enfants à l'abri en les confiant à quelques amis sûrs et il était seul chez lui à Mauzé lorsque la cavalerie y entra, le dimanche 25 septembre 1685.
"Nous descendîmes dans le fossé qui environne la ville, lequel fort heureusement se trouvait à sec et nous pûmes atteindre dans la soirée le château de Marsay."
Nous n'avons aucun document attestant l'existence d'écoles de charité. Nous pouvons seulement relever dans les registres paroissiaux ou les actes notariés les noms de quelques instructeurs de Jeunesse et maîtres d'école. Les écoles de Mauzé aux 17ème et 18ème siècles sont donc à ranger dans la catégorie des petites écoles fondées par de simples particuliers ou par des paroisses.
Après la Révocation de l'Édit de Nantes, elles dépendirent entièrement du clergé catholique qui les contrôlait étroitement. Ce que, Louis XIV avait voulu par les ordonnances de 1695 et 1698, où apparaît pour la première fois l'idée d'école obligatoire, c'était moins répandre l'instruction que déraciner le protestantisme. Tous les enfants, mais en particulier ceux dont le père et mère avaient fait profession de la religion prétendue réformée, devaient fréquenter une école ou ils seraient instruits et élevés dans les principes de la religion catholique apostolique et romaine. C'est vraisemblablement dans l'une de ces écoles que l’instituteur apostat dont nous venons de parler, un nommé Barbotin, devait déployer son zèle de nouveau converti.
Le vicaire perpétuel à qui les Feuillants confiaient l'administration de la paroisse et le prêtre qui l'assistait dans son ministère jouaient-ils un rôle d’enseignant ? On peut le penser. N'étaient-ils pas à même d'inculquer aux jeunes garçons des familles aisées les premiers rudiments du latin ? Ils avaient sans doute auprès d'eux quelque clerc ayant la charge de dispenser cette instruction que le roi voulait quasi obligatoire. Cela paraît être le cas de Michel Gaborit dont la signature se trouve au bas de très nombreux actes dans le registre paroissial de l'année 1690.
On se dit que si c'est à lui que le curé avait souvent recours lorsqu'il avait besoin d’une signature au bas d'un acte, c'est qu'il l'avait pour ainsi dire sous la main. On relève de même, vers 1715, le nom maintes fois répété de Boulageon. Un notaire à qui sa clientèle laissait du loisir pouvait aussi être instructeur de jeunesse. Tel ce Nicolas Desplanques dont le fils, semble-t-il, fut sicaire à St-Pierre de Mauzé.
Mais il faut bien avouer que pour cette époque lointaine nous ne savons rien de précis. Il y avait certainement une ou des écoles, nous pouvons aligner quelques noms d'instituteurs, mais nous ne connaissons que des noms.
Pour la seconde moitié du dix-huitième siècle, les renseignements sont un peu plus nombreux. Quelles en sont les sources ? Les registres paroissiaux et, surtout, les minutes des notaires. Dans cette recherche, le hasard joue un grand rôle.
C'est ainsi qu’un acte du 1er février 1756, provenant de l'étude Bourdon, m'a fait connaître qu'au village de Bran le sieur Jean Moynet, instructeur de jeunesse, avait chez lui un certain nombre de pensionnaires. S'il n'avait pas fait appel au notaire pour conclure avec son beau-père, un arrangement parfaitement étranger, d'ailleurs, à sa profession, comment aurais-je pu connaître son existence ?
À mesure qu’on approche de la période révolutionnaire, les recherches sont plus aisées et plus fructueuses. En 1789, plusieurs écoles étaient ouvertes à Mauzé et une demi-douzaine de maîtres y enseignaient. On peut citer Jean-Baptiste Deboneuil, Collien dit Martin, Joanny, Poudret... Jean-Louis Mirambeau n'était pas encore arrivé, mais dès l'an III on parle de lui. Ajoutons encore Jean et Honoré Martin qui, d'après un acte d'assemblée, étaient en 1788 instructeurs de jeunesse, mais dont je ne sais rien de plus.
Jean-Baptiste Deboneuil, fils d'un notaire, était originaire de la Haute-Vienne. Il dut arriver à Mauzé vers le milieu du siècle; c'est à Mauzé qu'en 1757 naquit son fils Antoine. Celui-ci, dès qu'il fut en mesure de le faire, seconda son père: un acte de 1784 nous indique qu'il était alors maître de pension. Il acquit ensuite une charge de notaire, mais rien n'empêche de penser qu'il réservait une part de son activité à l'école Deboneuil
Le père mourut le 15 avril 1806.
À Charles-François Collien dit Martin venait de St-Jean d'Angély. Si l'on étudie les registres de l'État civil, on constate que dans son acte de mariage, en 1784, il est dit musicien; en 1795, dans son acte de décès, maître de pension et enfin précepteur dans l'acte de mariage de sa veuve avec Paul Courtois. Tout cela peut fort bien s'accorder : le sieur Collien devait être capable d'enseigner les rudiments de la grammaire et de l'arithmétique, mais on voyait surtout en lui un maître de musique.
Guillaume Joanny avait eu vraisemblablement une formation de clerc. J'ai lu qu'il avait été organiste à Courdault; il connaissait bien le latin. Feuilletons les actes d'assemblée du général de-la paroisse : en 1784, il est dit maître de pension; en 1786, instructeur de jeunesse; en 1787, maître de latin. Maître de latin, cela comptait. Les jeunes garçons de la bourgeoisie qui suivraient plus tard les cours d'un collège de Niort pouvaient s'y préparer chez Joanny.
Quand l'administration municipale fut mise en place, Guillaume Joanny devint greffier de la commune et de la justice de paix.
René Poudret, né à Poivé-St-Hilaire (?), en Poitou, était maître d'école à Mauzé depuis l'année 1781. Il épousa, le 19 novembre 1788, Marie Rougé fille de feu Mathieu Rougé, bourgeois.
D'après un mémoire-sur la statistique des Deux-Sèvres, son école comptait 25-élèves.
Il mourut au plus tard en 1808. C'est cette année-là, en effet, que sa veuve, sur le point de quitter Mauzé, loua la maison qu'elle y occupait à Charles Rouzeau, lui aussi instituteur.
Quant à Jean-Louis Mirambeau, né à Saintes vers 1765, ce n'est que le 25 floréal de l'an 3 que nous trouvons pour la première fois son imposante signature dans les registres de l'Etat civil. Il était alors témoin au mariage de Paul Courtois.
L'année suivante, le 17 prairial de l'an 4, il déclarait la naissance de son fils, François-Célestin. Nous le trouvons maître de pensionnat, secrétaire de Mairie, trésorier de la Fabrique de St-Pierre; enfin maire de Mauzé. Il demeure successivement au Breuil-Barrabin et au Pavillon ... Il mourut le 9 avril 1945. On peut supposer que, dans les dernières années de sa vie, quand il contait ses souvenirs , il aimait à rappeler que, dans son école du Breuil-Barrabin, il avait eu comme élève le jeune René Caillié.
On se souvient peut-être (v.le bulletin n° 10) que le contre-amiral Savary, pour l'éducation de ses fils, entretenait chez lui un précepteur. Le cas devait être exceptionnel. Mais on vient de voir que Mauzé ne manquait pas d'instructeurs de jeunesse.
Et encore, n'ai-je rien dit de l'abbé Recoquillé et de son vicaire qui devaient bien, avant la Révolution, donner quelques leçons de latin et de grammaire française. Ne lit-on pas dans la notice historique de l'abbé Dubois que le curé de Mauzé, qui s'était réfugié dans son pays natal, le Limousin, au moment de la Terreur, "reparut dans sa paroisse après un an d'absence, s'y fit maître d'école et, à l'abri de ce rôle pénible, vécut paisiblement jusqu'à la restauration du culte public" ?
Néanmoins toutes ces écoles étaient des écoles privée La nécessité s’imposait d’une école communale que les indigents pussent fréquenter. Et nous voici ramenés à la délibération du Conseil Municipal du 9 brumaire de l'an ll relative au choix d'un instituteur qui allait être, en application de la loi du ll floréal an 10, l'instituteur de la commune.
Le chiffre de la population, fit remarquer le citoyen Marsillacq, permet de penser qu'un instituteur primaire trouvera à Mauzé, tant dans la rétribution proportionnée au nombre d'élèves que dans l'indemnité de logement qui lui reviendra, les moyens d'une existence honnête."
Les conseillers approuvèrent et leur choix se porta sur le citoyen Poudret qui réunissait, dit le procès-verbal, toutes les qualités requises. On fixa ensuite le montant de la rétribution scolaire : 1 fr 20 pour un élève commençant à lire, 1 fr 75 pour celui qui lisait et commençait à écrire, 5 fr. pour celui qu'il fallait initier à l'arithmétique. Il fut précisé que les élèves dont les parents seraient trop pauvres pour payer la rétribution seraient gratuitement admis, mais que leur nombre ne devait pas excéder le cinquième du nombre total. Enfin l'indemnité de logement fut fixée à 150 fr. par an.
Il n'était pas dans mon propos d'aller plus loin. Un des enseignants de Mauzé, qui aurait accès aux archives municipales aussi bien qu'à celles de l'Inspection Académique, aura peut-être le désir de continuer cette histoire.
Raoul Germond
(1) Journal de Jean Migault ou Malheurs d une famille protestante, du Poitou à l'époque de la Révocation de l'Édit de Nantes, manuscrit trouvé entre les mains d'un descendant de l'auteur et publié, avec des notes, par D. de Bray, pasteur de l'Église protestante de Niort, chez Robin et Cie, libraires, 50 rue des Halles, en 1840.
(2) Cette fort ancienne maison, souvent citée dans l'histoire de Mauzé, appartient aujourd'hui à Mme Savary ( , rue du Doué). Les Ranques étaient seigneurs de Grange, Prin, la barre, Clesgue, le Breuil-Barrabin et autres lieux.