![]() |
Bulletin numéro 8 |
Septembre1965 |
Robert FAVREAU |
LE PEAGE DE MAUZE AU MOYEN AGE
Mauzé apparaît cité dans les textes à l'aube du 11ème siècle, mais sa forme latine, Mausiacus (1), donne à penser à une origine beaucoup plus lointaine, le suffixe acus, acum désignant habituellement une ancienne propriété gallo-romaine. Placé à la frontière du Poitou et de l'Aunis, que marquait la grande forêt d'Argenton (2), Mauzé se trouvait sans doute déjà à un point de pénétration de la forêt, pénétration qui finit par séparer la forêt d'Argenton, à cet endroit, en deux massifs forestiers, la forêt de Benon et la forêt de Chizé« Par ailleurs, Mauzé se trouvait immédiatement au sud des marais qui, jusqu'à la progression bénédictine des IXème - XIIème siècles, constituèrent une zone quasi-déserte et d'un accès difficile. Il est probable que la ville dut, dès le départ, sa place dans l'histoire de la région à cette situation de lieu de passage - ouvrant à Niort la route de l'Atlantique, et de poste-frontière. Le franchissement du Mignon assurait en outre a là ville une position de force, et la petite rivière trace encore aujourd'hui une frontière départementale dont le caractère aujourd'hui, désuet ne nous incline guère à imaginer l’importance que pouvait avoir la "frontière“ de jadis.
L'établissement de nombreuses abbayes bénédictines en plein cœur des marais, Saint-Michel-en-l'Herm, Luçon, Maillezais, Angles, Talmont, Lieu-Dieu en Jard, ouvrit la façade bas-poitevine à la civilisation, et de nouvelles routes unirent cette zone à l'arrière-pays (5).
Au XIIIème siècle au plus tard, Mauzé à son tour se rattache à cette zone de marais par le Mignon qui, se jetant dans la Sèvre niortaise, menait à la mer. En 1255, le seigneur de Mauzé, Guillaume d'Apremont, conclut avec les habitants de la ville un accord relatif a l'"achenaut" ~ c'est-à-dire au canal « du gué Péroux, qui permettait alors le transport du vin produit par la région et de toutes les autres denrées : ceux des habitants qui avaient aidé à curer le canal avec le tramail seulement (4) auraient à payer certains droits pour le vin qu'ils feraient "charroyer“ - par halage sans doute - ou “charger" audit canal ; aux étrangers, qui n’avaient pas participé à ces travaux, un tarif spécial serait appliqué, tant pour le vin , que pour les autres marchandises qu'ils chargeraient sur le chenal (5).
Dès le XIVème siècle le péage paraît solidement installé au profit du seigneur. Il se perçoit dans les différents ports du à ressort de Mauzé, ressort de péage qu'on appelle la péagerie et qui comprend, outre Mauzé même, Usseau, Pont d'Angle, la Chaussée , Margot et Morvins (6). Il est curieux de constater que ce ressort s'étend sur une ligne continue se maintenant au nord de la forêt marquant la frontière entre Poitou et Aunis. Les habitants de Mauzé s'efforcèrent alors d'obtenir de leur seigneur l'exception de ce droit de passage, d'où un procès qui se termine par une transaction le 3 septembre 1362 : Regnaud Chenin, seigneur de Mauzé, accorda cette exemption aux habitants pour toutes les denrées et marchandises provenant de leurs biens ou destinées à leur usa e personnel: dans tous les autres cas ils paieront un demi péage (7).
Le péage était - au moins théoriquement - affecté à l'entretien du passage, mais il n'en constituait pas moins une charge fiscale pesant sur les transactions. Les habitants de Frontenay, qui trouvaient Mauzé sur leur route des lors qu'ils se dirigeaient vers La Rochelle, avaient obtenu, sans doute grâce à l'appui de leur seigneur, le puissant vicomte de Thouars, exeption de péage à Mauzé et dans les villes voisines. La guerre civile qui se déchaîna au début du XVème siècle, ajoutant son danger à la menace anglaise, favorisait les troubles. Peut-être aussi le nouveau seigneur de Mauzé, Geoffroy, vicomte de Rochechouart, qui avait épousé Marguerite Chenin, héritière de la seigneurie, était-il désireux de faire rentrer le plus possible d'argent dans ses caisses, et trouvait-il, dans le désordre généralisé, une occasion de braver quasi impunément une justice royale a peu près impuissante; En avril 1423 le péage était exigé à Mauzé sur les habitants de Frontenay depuis un certain temps déjà, car le roi en était à ses troisièmes lettres pour prescrire au seigneur de Mauzé de respecter l'exemption de ceux de Frontenay, que soutenait fermement leur seigneur, le vicomte de Thouars. Le Parlement avait déjà ordonné la mise du péage en main du roi, c'est-a-dire son administration par des commissaires royaux désignés à cet effet. Cette mesure n'ayant pas été appliquée le roi ordonnait d'ajourner devant la Cour du Parlement siégeant alors à Poitiers, tous les coupables, et ce, sous peine d'avoir à payer l'énorme amende de 1000 livres tournois.
Jean Papineau, sergent royal, se rendit alors à Mauzé pour exécuter les lettres du roi que lui avaient confiées Jean Escarlat, procureur du vicomte de Thouars a Frontenay, et Huguet Viaut, procureur des habitants de cette même ville. Il ajourna en Parlement Jean de La Couste, procureur du seigneur de Mauzé, et Jean de Jennes et sa femme que les textes nous citent parmi les principaux responsables.
Il leur fit défense, ainsi qu'au capitaine du "chastel et fortesesse" de Mauzé, Thomas Carbonnel, et au fermier du péage Héliot Baden, d'exiger désormais aucun péage des habitants de Frontenay. Mais Héliot Baden lui répondit " qu'il ne cesseroit point, nonobstant les dictes deffenses, de lever le péage sur lesdiz habitants de Frontenay, et le leur fieroit paier, ou sinon il les feroit mectre en prison ", tandis que le capitaine du château soutenait ouvertement le fermier (8). Il est probable que la situation ne redevint normale qu'avec le rétablissement de l'ordre et l'affermissement d'un pouvoir royal très ébranlé.
Mauzé demeura une étape notable sur la route qui unissait Niort à l'important nœud routier de Surgères. "La Guide des chemins de France" publiée par Charles Estienne en 1553 fait passer la route de Niort à La Rochelle par Frontenay, La Névoire (sur le Mignon) et Courçon, mais la carte géographique des postes de Michel Tavernier, place en 1632 Mauzé sur la route de Niort à Brouage et le tableau géographique des Gaules dressé par Jean Boisseau en 1645 reprend le même itinéraire (9). En fait, la route menait aussi à Saintes, et de là à Bordeaux (10). Au début du XVIIème siècle l'itinéraire par Mauzé permit un moment d'éviter aux marchands de payer les taxes domaniales de Marans, jusqu'à ce que le fermier de Marans établisse un bureau à Mauzé (11). En1694 un jugement royal confirma le péage de Mauzé. Mais la commission des péages créée en 1724, examinant l'utilité de chaque péage, conclut à la négative pour celui de Mauzé, et un arrêt du Conseil d'État du roi donné à Versailles le 31 mars 1739 supprima le péage sur le pont de Mauzé et sur la rivière du Mignon, au port et dans toute l'étendue de la baronnie de Mauzé (12).
Sans doute y avait-t-il donc à la fois un péage pour la voie terrestre - sur le pont - et un péage par eau le long du Mignon dans l'étendue de la péagerie. Au Moyen-Âge le péage avait permis d'assurer l'entretien de la voie passant par Mauzé. Au XVIIIème siècle le développement des routes et leur prise en charge progressive par la nouvelle administration des Ponts et Chaussées rendait sans objet la perception d'une taxe locale sur le commerce. Une route nationale franchit aujourd'hui le Mignon à Mauzé, menant soit à La Rochelle soit à Rochefort, prolongeant pour la ville sa fonction traditionnelle de passage. Mais qui donc aujourd'hui pense à cette longue continuité historique de la route ouvrant le Poitou à la façade atlantique °
Robert FAVREAU.
(1) B. LEDAIN, Dictionnaire topographique du département des Deux-Sèvres. Poitiers, 1902, p 173.
(2) Robert FAVREAU, la forêt de Chizé au moyen-âge dans le Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques (1963).
(3)Françoise POIRIER-COUTANSAIS, étude sur les abbayes bénédic tines du Poitou du IXème siècle au début du XIIème siècle, dans position des thèses de l’École des chartes, Paris, 1956, p69-75.
(4)Le tramail est un filet de pêche formé de trois rets super posés.
(5)Archives nationales, H4 30332, dossier 3, Mauzé; acte analysé à l'intention du bureau des péages chargé d'examiner les titres de chaque péage au XVIIIème siècle.
(6) Usseau, canton de Mauzé; Pont-d'Angle, commune de Thorigny sur-le-Mignon; la Chaussée (sur le Mignon également); Margot et Morvins, commune de Courçon, Charente-Maritime, sur la route entre Maillezais et Courçon.
(7) Archives nationales, H4 30332, dossier 3, Mauzé; l'acte seulement analysé.
(8) Archives départementales de la Haute-Vienne, fonds Rochechouart, E 2867.
(9) Charles ESTIENNE, "La Guide des Chemins de France", édition Jean Bonnerot, Paris, Champion, 1935 -1936 (fascicule 265 et 267 de la bibliothèque de l'École pratique des Hautes Études).
Jean Bonnerot a édité en annexe les cartes de Tavernier et Boisseau. La routede Niort à La Rochelle coupât probablement le ressort deMauzé
(10) - E. TROCMÉ et M. DELAFOSSE, Le commerce rochelais de la fin du XVème siècle au début du XVIème siècle, Paris A. Colin, 1952 (École pratique des Hautes Etudes, VIème section - Ports, routes et trafics, V. P. 5 et carte hors-texte).
(11) - E. TROCME et M. DELAFOSSE, op cité, p. 29-51
(12) - Archives nationales, H4 30332, dossier 3, Mauzé.