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Bulletin numéro 7 |
Juin 1965 |
Raoul Germond |
AVEUX ET DÉNOMBREMENTS
De Mr. Pétonnet.- Il a été question à plusieurs reprises, dans le bulletin, d'actes écrits appelés "aveux et dénombrements" dont certains passages ont dû paraître à maints lecteurs savez-vous qu'il en est de très jeunes ? - plus ou moins obscurs. Ne pourriez-vous leur en faciliter l'intelligence ?
Dans une certaine mesure, peut-être; mais cela va nous entraîner assez loin. Prenons, vers le 11ème siècle, le possesseur du château de Mauzé qui était un seigneur chef de guerre ayant juré fidélité au comte de Poitou. Pour récompenser l'un des hommes de guerre qui l'avaient bien servi, il lui fait don d'un domaine. Ce domaine, dont le seigneur de Mauzé demeure malgré tout le propriétaire légal, le donataire le possédera désormais à titre de fief. Il l'administrera et en percevra tous les produits et revenus. Mais, avant d'en prendre possession, il doit prêter serment de fidélité et d'hommage au seigneur dont il sera dit le vassal et qui sera son suzerain.
La tradition veut qu'il s'agenouille et, les mains dans les mains de son suzerain, lui jure fidélité, se reconnaisse "l'homme" de ce seigneur et s'engage a le servir et à l'assister selon la coutume. Le suzerain relève alors son vassal, l'embrasse et déclare le recevoir et prendre à l'hommage. Pour lui donner l'investiture, c'est-à-dire le mettre en possession du fief, il lui remet un objet symbolique : motte de terre, rameau ou fétu de paille.
On voit que le lien ainsi créé n'existait qu'entre deux personnes et non pas entre deux parcelles de territoire; ma mort de l'une d'elles y mettait fin. Mais l'usage s'établit rapidement que, lorsque le vassal mourait, son fils et héritier gardait le fief à condition de se reconnaître, à son tour, le vassal du seigneur en prêtant le même serment de fidélité et d'hommage et moyennant le paiement d'un certain droit. D'autre part, s'il y avait changement de seigneur par héritage, mariage ou acquêt, le vassal devait renouveler l'hommage au nouveau seigneur et payer, bien entendu, le droit correspondant.
La cérémonie orale de l'hommage étant complétée par un acte écrit, dressé par un notaire, qu'on appelait "l'aveu dénombrement du fief". Dénombrement parce qu'y étaient énumérés tous les objets, tenus en fief par le vassal, aveu en raison de la formule généralement employée : "tient et avoue tenir ...". Par exemple : "sachent tous que je, Gauvin Chenin, chevalier, en nom et comme tuteur de Marguerite et Jeanne Chenin, filles et héritières de feu Messire Renault Chenin en son vivant chevalier seigneur de Mauzé tient et avoue tenir, au nom que dessus, de noble et puissant seigneur Tristain, vicomte de Thouars, comte de Benon, le chastel, ville et baronnie de Mauzé et le chastel et village de Millescu, ainsi que leurs appartenances et dépendances .... (Dénombrement rendu à Benon en 1384)
Le montant du devoir exigible à chaque changement de suzerain ou de vassal (on ne disait pas changement, mais mutation, mouvance ou muange) est toujours précisé dans l'acte. Exemple : "avoue tenir à foi et hommage plein, au devoir d'une pièce d'argent fin appréciée trois sols tournois, a muance de seigneur ou de vassal.
Il y a parfois une différence selon le cas : "... au devoir de dix livres tournois quand le cas y advient, le total du dit devoir à mutation de vassal et le tiers à mutation de seigneur, selon la coutume de ce pays".
Les dénombrements qui accompagnaient les actes d'hommage sont évidemment précieux pour l'historien. Dans celui de 154O (l) rend au comte de Benon par Claude de Rochechouard, baron de Mauzé, sont énumérés tous les vassaux de la baronnie. On y lit, par exemple, les noms de Bertrand Hélie, écuyer, seigneur de La Rochesnard, au devoir de cent sols tournois; de Joachim Desmier, écuyer, a cause de sa seigneurie d'Olbreuse, au devoir de soixante sols; de Guillaume Béchillon, écuyer, à cause de sa seigneurie de l'isle Rault (aujourd'hui Irleau), au devoir de soixante sols, etc... Et dans l'aveu de 1615 rendu par Alexandre Desmier à Claude Gillier, seigneur de la Villedieu de Comblé et baron de Mauzé, non seulement sont précisées les limites du fief de la Brune-en-Mauzé, dans le voisinage des halles, mais sont donnés, maison par maison, les noms des tenanciers présents et même passés. C'est là qu'on peut lire : que Dans cet "enclos et circuit" de maisons, places, cours jardins et bâtiments de servitude, est "compris le temple et place d'iceluy où se fait le presche et exercice de la religion réformé en l'église recueillie au dict Mauzé" - précision que, depuis bien longtemps, les historiens de Mauzé avaient en vain cherchés.
Les serments enregistrés sur acte de notaire et les aveux de dénombrements des fiefs subsistèrent tant que dura l'Ancien Régime mais, peu à peu, le cérémonial de l'hommage était tombé en désuétude.
Toutefois on voit encore, au 18ème siècle, un suzerain donner l'accolade à son vassal, un vassal s'agenouiller devant le portail du manoir de son suzerain et en baiser la serrure, On pourra lire plus loin, le récit d'une présentation d'hommage à la porte du château de Mauzé en 1729.
Raoul Germond.
(1) Les textes des dénombrements de 1584 et 1540 nous avaient communiqués par notre regretté collègue, Mr. Pillot de Beauretour On peut en prendre connaissance aux archives de la société.