Flèche Bulletin numéro 5
Décembre1964  Raoul Germond

 

 

Les ancêtres mauzéens d’Eugène Fromentin

Le Mercure de France a publié, dans le numéro du 1er septembre 1939, une étude attachante de M. de Vaux de Foletier sur les ancêtres d'Eugène Fromentin. Si solidement et minutieusement documenté que soit ce travail, peut-être reste-t-il, pour ce qui est des ancêtres mauzéens, quelque chose à découvrir, étant bien entendu qu'on ne se proposerait pas de rectifier, mais seulement de compléter. Un habitant de Mauzé peut se demander, en effet, si les maisons qu'habitèrent les Fromentin sont encore debout, notamment celle où Samuel-Toussaint passa son enfance, celle où il mourut, et, dans l'affirmative, si l'on y peut trouver encore quelques restes évocateurs 2 des fenêtres à petits carreaux, la margelle d'un vieux puits, un degré de pierre aux marches usées, des boiseries du dix-huitième. Il faudrait pour le savoir fouiller les archives des notaires. Il peut se demander aussi quelles attaches les Fromentin de La Rochelle avaient conservées à Mauzé. Avec lesquels de leurs nombreux parents et amis entretenaient ils les relations les plus suivies ? Des lettres ont-elles été gardées qu'on pourrait retrouver dans des archives familiales ?.. C'est pour répondre à des questions de ce genre que la présente étude a étéentreprise.

Samuel - Toussaint Fromentin, bisaïeul de l'écrivain et qu'on peut considérer comme le dernier des Fromentin de Mauzé, est fils de François Fromentin et de Marie-Élisabeth Challe. Ses grands-parents paternels sont François Fromentin l'aîné et Élisabeth Jousselin; ses grands-parents maternels Samuel Challe et Marie Bastard. Il a épousé Marie Guionnet, fille d'Annibal Guionnet du Portail et, de Marie Micou, petite-fille de Jean Guionnet, d'Isaac Micou, d'Anne Guillon. Or les Guillon, les Micou, les Guionnet, les Bastard, les Challe et les Fromentin sont tous des marchands. Samuel-Toussaint appartient donc à cette bourgeoisie d'affaires, en grande partie de religion protestante, dont presque toutes les familles étaient apparentées les unes aux autres et qui constituait au 17ème siecle la classe dirigeante de la petite ville. Lors de la révocation de l'édit de Nantes, la plupart de ces marchands abjurèrent pour conserver leurs entreprises et leurs biens. François Fromentin et Elisabeth Jousselin s'étaient mariés au temple de 26 janvier 1684. Au temple aussi et la même année Samuel Challe et Marie Bastard. Les premiers abjurèrent en janvier 1686 (1). La date n'est pas connue pour les seconds, mais nous constatons que Samuel Challe devient en 1697 fermier général des Feuillants de Poitiers qui possédaient à Mauzé les prieurés St Pierre et Ste Croix.

Par acte du 7 mai 1705, Les Feuillants lui arrentent le logis ou pend l'enseigne des Trois Marchands, contigu à ce qui reste du prieuré St Pierre. D'après l'acte d'arrentement, cette auberge est "à l'état de masure." En 1704, Samuel Challe traite avec Pierre Cacault et Jacques Pillot pour la "rétablir en état d'habitation."

Cette même année, il donne sa fille Marie-Élisabeth en mariage à François Fromentin et ne tarde pas à associer son gendre à ses affaires. Plus tard, une autre de ses filles, Anne, épouse Jacques Coquillon, marchand à La Rochelle, qui vient s'établir à Mauzé. Le 26 septembre 1720, Samuel Challe et Marie Bastard qui, depuis 1697, leur bail étant renouvelé de sept ans en sept ans, n'ont pas cessé d'être les fermiers généraux des prieurés de Mauzé et qui commencent à se sentir las, abandonnent cette ferme à leurs gendres Fromentin et Coquillon, "a charger par ceux-ci de payer annuellement 2900 livres aux religieux Feuillants de Poitiers et d'en rapporter les quittances au sieur Challe."

Nous savons qu'après la mort de son beau-père, c'est François Fromentin qui devint l'hôte et le propriétaire des Trois Marchands. Mais ou demeurait-il auparavant ? Un acte de vente du 30 octobre 1787 nous renseigne sur ce point. Par cet acte plusieurs (1) membres de la famille Fromentin cèdent à Charles Segay, perruquier, une maison située près des Halles, partie en la seigneurie de Mauzé, partie on celle d'Antigny-la Brune, confrontant du couchant a la place publique, du midi à la cour du presbytère et du nord a l'ancien minage. Avec une telle confrontation impossible de se tromper : de la maison acquise par le perruquier Segay en 1787, M- Claude Guerin et le Dr; Thibault possèdent aujourd'hui la plus grande partie. Il y avait quatre vendeurs : trois d'entre eux étaient les enfants encore vivants de François Fromentin, c'est-à-dire Samuel-Toussaint, ancien procureur au siège présidial, Marie-Élisabeth, épouse de Me François Buard, et Françoise-Élisabeth, la plus jeune, demeurée célibataire; le quatrième était la fille de Jérôme représentant son père décédé. Il est précisé dans l'acte que Françoise-Élisabeth, propriétaire d'une moitié et usufruitière de l'autre, avait au moment de la vente la libre disposition de toute la maison. À n'en pas douter, c'est bien celle de François Fromentin et il est tout naturel qu'elle eût été laissée à la plus jeunes des filles, car les autres n'en avaient pas besoin : Samuel Toussaint, du côté de sa femme, possédait une maison au faubourg de la Chartrie, Marie-Élisabeth demeurait a Surgères et la fille de Jérôme était mariée à Paul Giraud.

S'il était nécessaire, un autre acte, daté du 27 juin 1725, confirmerait l'exactitude de la précédente déduction. C'est un titre nouvel par lequel François Fromentin reconnaît être propriétaire d'une maison tenant du couchant a la place publique appelée place d'Armes et du midi à la maison de la cure. On notera en passant -détail vraiment curieux- qu'en 1725, la place des Halles était appelée place d'Armes. Sans doute convient-il de rapprocher ce renseignement d'un autre fourni par un acte de 1724 d'après lequel la compagnie colonelle d'un régiment de dragons avait pris ses quartiers d'hiver à Mauzé.

Nous connaissons donc maintenant les deux maisons où habita successivement François Fromentin. Elles sont presque voisines. Si Samuel-Toussaint n'est pas né aux Trois Marchands, il était très jeune quand ses parents s'y installèrent et ce logis avait été auparavant la maison de demeure de son grand-père. En somme, il a passé toute son enfance et sa jeunesse dans ce quartier des Halles qui était le cœur de Mauzé. Qu'il sortît de l'une ou de l'autre maison, les halles étaient devant lui.

Elles sont aujourd’hui démolies, mais l'ancien logis des Trois Marchands est encore debout, entre le magasin de Mr. Boubien et l'étude de Me Sarrabezolles. Malheureusement l'immeuble était frappé d'une servitude de reculement et la façade en a été abattue au début de ce siècle pour être reconstruite, dans un style neutre d'accompagnement, a l'alignement de la maison voisine. La grande porte cochère, cependant, a été respectée. Elle vaut qu'on s'y arrête. La clé de l'arc déprimé, en léger bossage, présente un écusson où est gravée en creux une ancre de navire, la tête en bas, l'anneau replié sous la vergue. On remarque que celle-ci porte deux pattes supplémentaires, coudées à angle droit, sur la signification desquelles on s'est longuement interrogé. L'abbé Tribert, qui consacre, dans la Vieille Cloche (N° 19, p. 128) deux pages entières a cet écusson, reproduit l'opinion de M; Richard, archiviste de la Vienne : "C'est une enseigne de commerçants. Elle indique que des marchands, trois, à cause des trois branches de l'ancre, étaient associés et habitaient ce logis. Ils vendaient des denrées d'outre-mer qui leur arrivaient par La Rochelle, et notamment les épices et la morue."

Faut-il en conclure qu'avant Samuel Challe, il y eut là trois marchands associés ? Ou bien penser simplement que cet écusson n'avait pas plus de signification que l'enseigne des Trois Rois ou celle des Trois Chandeliers que nous avons déjà rencontrées ? C'est cette dernière hypothèse qui paraît la plus plausible.

Passant sous le porche, on arrive dans la cour intérieure ou, immédiatement a gauche s'ouvre la gage d'un escalier de pierre d'assez belle allure. Cette partie de la maison remonte au moins au 17ème siècle. On s'arrête au premier étage devant l'arc ogival d'une porte aujourd’hui murée. D'autre part, M. Besson parle d'une porte, intérieure de style gothique, finement sculptée, qui, dit-il, a été enlevée pour être vendue à un antiquaire. Les bâtiments qu'en 1703, Samuel Challe trouva "à l'état de masures", qu’elle en avait été auparavant la destination ? L'ancien logis des Trois Marchands, comme les logis voisins du Cheval Blanc et du Chêne Vert, tous les trois ayant appartenu aux religieux Feuillants et dépendu du prieuré St Pierre nous posent des problèmes qu'il ne sera pas facile de résoudre.

François Fromentin avait eu onze ou douze enfants. À son décès, cinq étaient encore vivants. L'aînée des filles avait épousé, nous l'avons dit, Me François Buard, notaire et procureur fiscal de la baronnie de Surgères; l'aîné des garçons, Jérôme, était marchand, vraisemblablement associé à son père; Marie, âgée d'une vingtaine d'années, aidait sa mère à l'auberge. Les deux plus jeunes étaient Samuel-Toussaint qui n'avait pas encore quinze ans et Élisabeth-Françoise qui en avait douze. C'est alors, peut-on penser, que se décida l'avenir du jeune homme. Le moment n'était-il pas venu pour la famille de se hausser sur l'échelle sociale. Peut-être fut-ce Me Buard qui, pensa poúr Samuel Toussaint à quelque office de robe › au chef-lieu de la généralité. Quoi qu'il en soit, dix ans plus tard, le benjamin des Fromentin était procureur au siège présidial de La Rochelle.

Marie-Élisabeth Challe survécut plus de vingt ans à son mari. Elle n'avait pas quitté le logis des Trois Marchands. En 1751, elle décida de le vendre. N'oublions pas qu'elle l'avait hérité de son père et qu'il lui appartenait en propre. Le 17 juin, par-devant Me Bourdon, elle cédait les Trois Marchands pour 4000 livres a Françoise Mathé, veuve d'Antoine Micou. Mais son fils Jérôme usa de son droit de retrait lignager. Nous avons retrouvé la supplique qu'il adressa au lieutenant-général de la sénéchaussée de La Rochelle pour que lui fût délivrée une expédition de l'acte de vente du 17 juin, 1751 "en vue de l'instance en retrait qu'il avait dessein de former".

Il eut satisfaction. Dans un acte du 50 mars 1756 (min. Bourdon), on peut constater que les Trois Marchands appartiennent au sieur Jérôme Fromentin. Était-ce encore une auberge ? L'acte de 1751 décrit ainsi l’immeuble vendu : " une maison sise dans la seigneurie du prieuré St Pierre, vulgairement appelée Les Trois Marchands, composée de chambres basses, chambres hautes, greniers, boutique, buanderie, cave, brûlerie, écurie, galetas, cour et jardin, le tout se joignant; confrontant la dite maison par le devant, qui est du midi, à la Grand Rue, du couchant à Marie Bastard et a divers ainsi qu'au fourniou du prieuré St Pierre (donc pas de sortie dans la rue de l'Église); du levant a la cour et écurie de la maison de la Galère, aujourd'hui le Cheval Blanc; du nord a la cour et aire du prieuré." À noter encore quelques détails relevés dans l'acte du 30 mars 1756 relatif à la vente du Cheval Blanc : "Le tout confronte du couchant au portail, cour, chambre et jardin des Trois Marchands appartenant à Jérôme Fromentin; les murs qui séparent les portails sont communs, mais celui qui sépare l'écurie du Cheval Blanc du jardin des Fromentin appartient au Cheval Blanc comme avant son égout sur le jardin du dit Fromentin."

Après Jérôme, le logis des Trois Marchands passa aux Michelin, puis aux Jousselin. C'est en 1826 qu'Isaac Michelin le vendit à André-Louis Jousselin époux de Catherine Rault. À la fin du siècle, il était la demeure du Dr Elie Jousselin dont nous avons souvent l'occasion de citer le nom car c'est l'un des historiens de Mauzé les mieux documentée. Quel dommage, par parenthèse, que son manuscrit et ses notes aient disparu!... L'immeuble fut acquis ensuite par Fernand Laporte, père de Mme Bonnin, l'actuelle propriétaire.

Revenons à Samuel-Toussaint Fromentin, procureur au siège présidial de La Rochelle. En 1752, il voudrait épouser Marie Guionnet du Portail, celle qu'on appelle Marie la jeune, car sa sœur aînée s'appelle aussi Marie. La jeune fille est orpheline et procède, comme on dit, sous l'autorité de ses oncles Bourdon et Guionnet-Fontaine.

Ceux-ci ont décidé de la marier à Louis-Noël Pillot de Beauretour dont le père est subdélégué de Mgr. l'Intendant. Mais Marie préfère le fils Fromentin et n'entend pas les conseils ni les refus de ses tuteurs. Ils ont beau demeurer inflexibles, la jeune fille parvient malgré tout à épouser celui qu'elle aime. On lira dans l'étude de M. Foletier de Vaux une page savoureuse sur cette victoire de l'amour Si ses fonctions obligent Samuel-Toussaint à vivre la plus grande partie de l'année a La Rochelle, ses intérêts et ses affections le ramènent souvent à Mauzé. Marie Guionnet a hérité de ses grands-parents Micou, entre autres biens importants, le domaine du Peux et la métairie de la Blancharderie situés dans la paroisse de Cram, ainsi qu'une maison du faubourg de la Chartrie que son bisaïeul, Pierre Guillon, avait acquise en 1721. Les Fromentin la font reconstruire dans l'intention de s'y retirer. Nous en trouvons la description dans une déclaration de 1684 : " trois chambres basses, une écurie, un cellier, un appens, une basse-cour, confrontant le tout du côté du levant a une venelle commune et à l'aire de Vallans, avec droits de fumeriou, passée et puisage dans la dite aire et tous autres droits de servitude." Comparons maintenant avec les détails fournis par l'acte de 1825. (Après la mort de Marie Guionnet la maison fut acquise par Charles Pillot de Beauretour). Même confrontation du côté du levant : vue et issue sur un quéreux commun dit l'aire de Vallans ou est un puits commun. Mais la maison comprend: un corridor d'entrée, un salon sur le devant, une cuisine ensuite avec cave par-dessous, plusieurs chambres hautes, des greniers, etc... Qu'est-ce à dire sinon que la vieille maison de Pierre Guillon, si elle n’a pas été complètement reconstruite, a du moins été surélevée et transformée par les Fromentin. On peut lire au-dessus de la porte la date de l'achèvement de ces travaux : 1776. Elle est occupée aujourd'hui par la boulangerie Mornet. M. Edgard Mornet a conservé soigneusement la cheminée du salon et quelques portes garnies d'anciennes ferrures qui datent certainement du 18ème siècle.

Samuel-Toussaint Fromentin et Marie Guionnet eurent quatre enfants que la vie dispersa : François-Samuel fut homme de loi à Poitiers, Antoine-Toussaint, avoué à La Rochelle, Augustin chef de bureau à la préfecture de la Seine; et leur sœur Marie-Geneviève épousa Me Gabriel de Macaye, avocat en Parlement, qui demeurait à Cayenne. L'ancien procureur mourut le 22 mars 1801. Le 22 septembre, les trois fils procédèrent avec leur mère à un partage où étaient confondus "les biens qui devaient leur échoir du chef de celle-ci et ceux qui leur étaient déjà échus par le décès de leur père." Pour ne parler que des immeubles, la maison de la Chartrie et une vingtaine de pièces de terre furent attribuées à François-Samuel qui laissa à sa mère l'usufruit de la maison (lI); Augustin reçut deux métairies, celle de la Blancharderie et une autre située à Prin; Antoine-Toussaint eut le domaine du Peux. C'est sans doute à la suite de ce partage qu'Antoine fut appelé Fromentin du Peux. Après lui le nom fut conservé par son fils et unique héritier, Pierre-Samuel-Toussaint Fromentin du Peux (ou Dupeux), docteur en médecine, fondateur de l'hôpital de Lafond. C'est lui le père de l'écrivain.

Eugene Fromentin est-il venu plusieurs fois à Mauzé ? Dans son enfance certainement. Qu'on se rappelle que des deux filles de Guionnet du Portail, les deux Marie, l'une épousa Samuel-Toussaint Fromentin et l'autre Pierre Fraigneau. Les Fromentin de La Rochelle avaient donc des cousins à Mauzé et les deux familles entretinrent longtemps d'affectueuses relations.

M. Jacques Mestayer possède une liasse de lettres adressées par des Fromentin de Paris ou de La Rochelle à leurs parents de Mauzé. Quand les hommes correspondaient, c'était surtout pour des questions d'affaires. On vient de voir que les Fromentin possédaient, dans la paroisse de Cram, la métairie du Peux et celle de la Blancharderie. C'étaient toujours les cousins Fraigneau qui prenaient soin de leurs intérêts. Pascal était fondé de pouvoir d'Augustin Fromentin qui habitait Paris tandis que son frère Pierre était procuration du médecin de La Rochelle. "J'ai vendu aujourd'hui a Régnier, de Cram, les deux derniers frênes situés dans la Vergnière proche de Peux pour la somme de 60 livres payable à la St Jean." écrit, par exemple, Pierre Fraigneau a son cousin. Mais la plupart des lettres que possède M. Mestayer sont de la mère de l'écrivain, Jenny Billotte, et adressées à la cousine Zélie. Comme on peut le penser, à part les nouvelles qu’on y donne d’Eugène, le fils chéri, il y est principalement question de travaux ménagers de maladies, de deuils, de naissances, de mariages. Madame Fromentin n'ignore pas quelle excellente réputation ont les tisserands de Mauzé. Elle envoie un jour à sa cousine une sousille (lisez : une taie d'oreiller) contenant seize livres de fil dont elle veut qu'on fasse des serviettes. Elle se montre bonne ménagère : "Faites bien peser le fil au tisserand devant nous" recommande-t-elle. Une autre fois : "Vous me dites qu'une de vos voisines a une pièce de toile à draps de 25 aunes sur aune de large” Maman vous prie de l'acheter si vous la trouvez bonne et pas trop chère. Quant à moi, je tiens à ma petite largeur. Je vous laisse : je suis en lessive.

De son côté, Zélie Fraigneau, qui fait sans doute de la tapisserie a besoin d'une grande variété de laine qu’elle ne trouve pas à Mauzé. Elle prit la cousine Jenny de lui en envoyer de La Rochelle.

La réponse ne tarde pas : "Je vous envoie par le fils Aymard les laines que vous me demandez. Je me suis fait aider dans leur choix par Mme Marquet (c’est la femme d’un notaire de Mauzé) qui est fort experte pour ces sortes de choses... Nous avons reçu les serviettes. Maman en est très contente, elle les trouve avec raison très bien faites."

De temps en temps, Mme Fromentin remercie pour un envoi de fruits, noix ou prunes, selon la saison : “Bien reçu le sac Eugène, en particulier, vous remercie de vos bonnes prunes qui sont encore notre friandises de soirée." Prunes et poires provenaient vraisemblablement du jardin de l'Ouche ("les noix du beau noyer" lit-on dans une lettre). Eugène devait aimer ce grand jardin au bout duquel une porte ouvrait sur l'ancienne douve et le charmant faubourg du Chambranger. Dans plusieurs lettres il est question d'un prochain voyage à Mauzé. On aimerait pouvoir dire que le trajet en voiture, mainte fois répété, a laissé dans l'esprit de l'enfant des images qui auraient passé plus tard dans les descriptions de l'écrivain. Mais il faudrait donner au moins un exemple..

Vient le jour ou Mme Fromentin découvre que la passion de la peinture éloigne d'elle le fils chéri. Le 30 octobre l847, elle écrit à la cousine Zélie : “Vous avez su par Mme Marquet qu'Eugene est retourné en Algérie. Sa passion pour la peinture et les ciels d'Afrique est plus forte que son amour pour sa famille." Mais la phrase est à peine écrite qu'elle regrette d'avoir exprimé une pensée aussi amère et elle s'empresse d'ajouter : "Cher enfant, il nous aime pourtant bien tendrement. Que Dieu veille sur lui !.." Et puis les lettres s'espacent de plus en plus. En 1852, nous lisons qu'Eugène et sa femme sont dans le Midi depuis leur mariage, pour longtemps encore éloignés de La Rochelle comme de Paris.

Et beaucoup plus tard, le 29 mai 1875, Mme Fromentin, qui a soixante-quinze ans, écrit a sa cousine, qui en a soixante-seize "Ma bonne Zélie, une vielle parente et bien sincère amie vient vous faire part du mariage de notre chère Marguerite, la fille unique de mon Eugène, ma petite-fille chérie, avec son cousin Alexandre Billotte." C'est la dernière lettre.

Ainsi, après avoir cherché parmi les vieilles demeures du bourg celles qu'habitèrent les Fromentin de Mauzé, avons-nous abouti à cette maison de l'Ouche, au bout de l'ancienne rue du Puits-Barré, ou M. Jacques Mestayer, descendant des Fraigneau, se plaît à évoquer, devant le portrait de sa grand-tante Zélie, le souvenir des Fromentin de La Rochelle.

Et maintenant relisons Dominique.

RG

(I)Date donnée par Levieil, d'après les notes du Dr Jousselin. '

(lI) Elle y mourut en 1821.