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Bulletin numéro 5 |
Décembre1964 | Raoul Germond |
Le testament de marie-olive des herbiers de Letenduère, dame de Courdault
Parmi les figures les plus attachantes le l'histoire de Mauzé, il en est une dont le peu qu'on connait suffit à frapper l'imagination, en même temps que la curiosité est piquée par tout ce qu'on ignore mais qu'on croit deviner. On la dirait sortie d'un roman de Balzac. Il s'agit de Marie-0live des Herbiers de Létenduère qui, portant un nom en son temps illustre, après avoir connu une vie probablement brillante, passa ses dernières années à Mauzé, presque aveugle, délaissé, peu à peu réduite à un état voisin Je l’indigence.
Dans l'une du ses chroniques de la Vieille Cloche l’abbé Tribert l'évoque, vieillissant dans son loris de la rue Basse. Là, hors du bourg, pour ainsi dire, loin du bruit de la Grand ’rue, avec une échappée sur los jardins de Chambranger et les coteaux du Grand-Breuil, la pauvre vieille s'éteignait. Elle devait Être hantée de souvenirs pénibles : non seulement sa fortune perdue, mais en outre la gloire de sa maison déjà obscurcie et prête à tomber dans l'oubli: son père et son mari morts; plus d’enfants pour ainsi dire car son fils avait disparu dans les guerres de la Révolution et sa fille ne la fatiguait pas de ses visites; dans Mauzé ou les environs, le nom de Létenduère et le sien maudits à cause de la dureté insolente et brutale avec laquelle son frère et elle avaient parfois traité leurs tenanciers …
Ce que nous voudrions, c’est faisant état de documents que l'abbé Tribert n'a sans doute pas ou sous les yeux, apporter quelques précisions et compléments d’information.
Marie-Olive était Fille de Henri-François des Herbiers, marquis de Létenduère qui, sous le règne de Louis XV, s'illustra comme chef d'escadre dans plusieurs batailles navales. Il soutint en particulier, en 1747, an large de l'île d'Aix, un combat quasi désespéré contre une escadre anglaise de beaucoup plus puissante å laquelle il réussit à échapper, après avoir vu tomber les pavillons des trois quarts de ses vaisseaux. Il avait marié sa fille à un cousin dont il avait fait un brillant officier de marine, Charles des Herbiers, seigneur de la Raslière qui, en 1750 était chevalier de St Louis, capitaine des vaisseaux du Roi et gouverneur de l'Ile Royale.Mais celui-ci mourut prématurément- Marie-Olive se remaria, en 1753 avec Mre Gaspard Cochon du Puy, premier médecin du Roi et de la Marine au port et arsenal de Rochefort, à qui le roi venait d'accorder des lettres de noblesse pour reconnaître les services éminents que son père et lui avaient rendus au département de la marine.(l) Le père de Mre Cochon du Puy avait acheté la terre et seigneurie de Courdault aux Gaallon en 1756. C'est au château de Courdault qu'il s'était retiré et il est probable que c'est là qu'eut lieu le mariage, car le contrat fut dressé par Bourdon, notaire a Mauzé. Les droits des époux étaient évalués pour lui à 30.000 livres, pour elle a 40.000. De ce mariage naquirent un garçon et une fille, Joseph-Gaspard et Jeanne-Henriette.
Aucun document ne nous renseigne sur ce que fut la vie de Marie-Olive jusqu'à la veille de la Révolution et il nous est difficile de l'imaginer dans son domaine de Courdault. Puisqu'elle choisit finalement de se retirer à Mauzé, on peut supposer qu'elle entretenait d'amicales relations avec quelques-uns des notables du bourg.
Du logis seigneurial des Compaing et des Gaallon, il ne reste plus grand chose aujourd'hui à part un pigeonnier en assez bon état de conservation et une tour sans caractère qu'il a fallu cercler de fer parce qu'elle menaçait ruine. Sur l'emplacement de l'ancienne cour d'honneur on a construit une vaste écurie et pour examiner la porte principale de l'ancien logis il faut s'avancer entre des tas de fumier.
L'endroit est peu propice à la rêverie. Mre Gaspard Cochon du Puy mourut dans sa maison de Rochefort au début de 1788 ou à la fin de l'année précédente. Un inventaire des meubles du château eut lieu les 14 et 15 mars 1788, dont le montant s'éleva à la somme de 3 831 livres 10 sols. La veuve déclara alors qu'elle renonçait à la communauté de biens entre elle et son défunt mari. Il n'y avait plus qu'à préparer la vente. Elle eut lieu les 6, 7, 8 et 20 juillet et on peut penser que ce fut pour Mauzé un évènement mondain. De nombreux bourgeois, les nobles des environs, les prieurs-curés de Courdault et d'Amilly étaient aux premiers rangs des amateurs. On regardait curieusement les instruments de physique qui avaient appartenu au médecin de la marine, en particulier certain "rouet à électricité en bois de fer" qui avait été estimé trois livres. Pierres Fraigneau fils en offrit cinq, le prieur de Courdault surenchérit... Finalement c'est à Dom Pevra, prieur-curé d'Amilly que fut adjugée cette machine qui devait jouer dans sa vie un rôle considérable. On batailla ferme pour les livres de la bibliothèque. Bastard enleva aux religieux le dictionnaire de Moreri et Pierre Fraigneau disputa victorieusement six volumes de St Evremond à Mme de Beynac. Mais on laissa celle-ci emporter les œuvres complètes de Molière et de Racine. Une enchère fit sourire : chacun des deux prieurs voulait le "chauffe-chemises". Ils n'étaient visiblement pas de ces religieux qui pratiquent, dit-on, les mortifications de la chair.... Avant que les enchères fussent ouvertes, la veuve avait déclaré qu'elle était créancière de sommes considérables sur la succession de son défunt mari et qu'en conséquence elle entendait saisir le produit de la vente entre les nains des notaires. Il s'éleva à 3.487 livres.
L'abbé Tribert parlant du marquis de Létenduere nous montre un grand seigneur poursuivi par ses créanciers. Il est possible que sa fille, pareillement, ait vécu en grande dame qui dépense sans compter, toujours à court d'argent et donnant aisément sa signature pour s'en procurer, sans trop se soucier des engagements souscrits. La famille possédait des terres. Rappelons le not de l’abbé Tribert sur la dureté insolente et brutale avec laquelle la dame de Coursault et son frère traitaient leurs tenanciers. Pour eux, sans doute, métairies et métayers n'étaient considérés que sous l'angle du revenu et ce revenu ne paraissait jamais suffisant. Les serviteurs, on restait des années sans les payer. En 1792, Jean-Baptiste Dumoulin, âgé de 47 ans, ancien domestique de la dame Dupuy, ayant travaillé à Courdault pendant dix ans et devenu impotent, sollicite une place à l'hôpital de La Rochelle. Il expose qu'il a confié à la dite dame une somme de 1046 livres provenant d'anciens salaires. Il a maintenant besoin de cet argent. Le notaire arrange l'affaire en la présentant sous le jour le plus favorable à sa cliente. Le domestique, d'après l'acte, "prie" sa maîtresse Je garder la somme qui lui est due et de lui servir une rente viagère de 78 livres 10 sols, L'essentiel, pour la dame dupuy, était de n'avoir pas à débourser sur le champ un millier de livres. Pour les arrérages de la rente on verrait plus tard.
Elle avait quitté Rochefort. Son domaine de Courdault, peut-être allait-il falloir le vendre. Elle résolut de s'installer à Mauzé. Elle y avait déjà un pied à terre : nous lisons dans un acte de 1792 qu'elle demeure ordinairement à Courdault, mais se trouve actuellement à Mauzé en la maison ou elle fait quelquefois sa demeure.
En 1795, une occasion se présenta. Élisabeth Duvigneau, veuve de Pierre-Benjamin Bourdon, sur le point de se remarier avec Louis-Basile Prieur et de quitter Mauzé pour longtemps sinon pour toujours, vendait sa maison située à l'angle de la Grand Rue et de la rue Basse et contiguë au logis St Martin. Deux actes notariés, l'un daté de juillet 1785, reçu à Mauzé par Deboneuil, l'autre du 11 primaire de l'an 2, reçu à Migron et enregistré à Saintes le 25 du même mois, firent de la dame de Coursault la nouvelle propriétaire de la maison des Bourdon. Trois ans plus tard, le 23 brumaire de l'an V, elle cédait le domaine de Coursault à titre de rente viagère à Victor Trinquelague de Quinsac, ancien capitaine de cavalerie au ci-devant régiment de Lorraine. Le montant de la rente était de 2400 Frs. comptés en monnaie métallique, plus 200 fagots rendus à Mauzé.
Les jours sombres de la Terreur étaient venus. Des trois fils que Marie-Olive avait eus de son premier mariage, au moins deux périrent sur l'échafaud. Alexandre fut décapité en juin 1794. Antoine, qui était capitaine au régiment Royal Comtois et avait accepté la Révolution, se distingua dans les premières campagnes d'Italie et parvint même au grade de général de brigade. Mais sa qualité de ci-devant noble le rendait suspect aux yeux des représentants du peuple commissaires près l'armée d'Italie. On lit dans Beauchet-Filleau qu'il fut arrêté sous l'inculpation de tentative de trahison, conduit à Paris et traduit devant le tribunal révolutionnaire qui le condamna à mort le 2 pluviôse de l'an II. Quant au troisième fils, son sort nous demeure inconnu. Est-ce pour tenter d'arracher ses enfants au couperet que la dame de Courdault rédigea et présenta à la Convention Nationale un mémoire sur la vie de son père, le valeureux chef d'escadre ? On peut le supposer, mais on vient de voir que ce fut inutile.
Marie-Olive des Herbiers de Létenduère était désormais la veuve Dupuy, demeurant à Mauzé. La vente de Courdault lui assurait un revenu modeste mais décent. Elle avait d'ailleurs d'autres terres.
Comment glissa-t-elle peu à peu à l'indigence ? Y avait-il déjà des créanciers qui guettaient ? L'acquéreur de Courdault se révéla-t-il insolvable ? Ou bien la fille du marquis de Létenduère ne voulait-elle pas se résigner à la gêne et entendait-elle conserver un certain train de vie qui, même au-dessus de ses moyens, lui paraissait indispensable ? Dans ce cas, on connaît le processus.
Tant qu'elle possède quelques terres, tout semble aller ; assez bien. Elle demande à son notaire de lui procurer telle somme, puis telle autre. Tant pis si au bout du compte c'est la vente forcée. Elle emprunte à droite et à gauche. Non seulement elle ne donne pas d'argent à ses fournisseurs, mais elle leur en demande. Les prêteurs ne manquent pas, notaires, commerçants ou bourgeois. Ils s'entourent, bien entendu, de solides garanties et la pauvre Marie-Olive doit retourner souvent chez le notaire pour une nouvelle hypothèque. Parcourons les minutes de l'étude Deboneuil.
14 prairial de l'an 9 - Obligation de 1422 fr. souscrite par la dame Dupuy au profit de René Bénéteau fils. Hypothèque est prise sur la maison où elle fait sa demeure. 1er messidor de la même année - La veuve Dupuy reconnaît devoir à Augustin Giraud la somme de 571 fr. qu'elle s'oblige d'acquitter en numéraire du cours dans un an de ce jour, avec l'intérêt.
1er thermidor de l'an 10 - Obligation au profit de Henri Meloche, marchand boucher auquel est due la somme de 448 fr. pour vente et 4 livraison de viande. Pour sûreté du paiement la dame Dupuy hypothèque spécialement son jardin de la Casse.
Le 16 du même mois - Obligation au profit de Charles Gentil, marchand, qui a prêté 588 fr.
22 germinal de l'an 12 - La dame des Herbiers, veuve Dupuy reconnaît devoir à Me Avezon, notaire à Tonnay-Charente, la somme de 5.100 fr quelle s'oblige de rembourser dans un an de ce jour ou dans les six mois qui suivront la vente par la dite dame Dupuy du domaine de Mourière sur lequel hypothèque est prise. Etc. etc... Il, est probable qu'à la fin, ayant hypothéqué tous ses biens jusqu'au dernier, elle se trouva sans ressources. Pour bien comprendre dans quelle gêne elle vivait, il faut lire le testament qu'elle dicta à Me Deboneuil le 23 germinal de l'an 10, au profit d'Élisabeth Ribaudeau, sa servante. Il y a cinquante ans que cette femme est à son service. Elle voudrait, dit l'acte, lui donner "des preuves de son amitiés et reconnaître tous les soins qu'a eus pour elle la dite Ribaudeau en sa Qualité tout à la fois de servante et de femme de confiance. Elle regrette que son peu de fortune ne lui permettre ses autant qu'il serait en elle de récompenser les services, le zèle et le dévouement de cette brave femme, qui, n'ayant reçu de gages que jusqu'en l’an 2 de la République, s'est contentée depuis de sa nourriture et du plus médiocre entretien. Songeant la dite dame Dupuy que, si elle venait à décéder avant sa servante, celle-ci, étant sans enfants, l'un d’âge avancé et dénuée de tout secours du côté de sa famille, se trouverait dans une situation déplorable, à ces causes et autres bonnes et justes considérations, elle donne et lègue par ces présentes à la dite Ribaudeau les effets qui suivent : un lit complet comprenant cadre fourré en toile, ballière, lit de plume avec sa coitte en coutil, Matelas, traversin, couverture, et courtepointe, ciel de lit et rideaux de cadi vert; plus une armoire de sapin, une table du même bois, quatre chaises et un fauteuil ; plus quatre draps de lit les moins usés, deux douzaines de serviettes à demi usées, et parmi les robes que laissera le dite dame Dupuy de quoi à faire deux déshabillés d'indienne complets, avec les doublures plus une demi-douzaine de chemises parmi les meilleurs et toutes les jupes de laine; plus une sonne de 72 fr. payable par les héritiers. Seront en outre tenus les dits héritiers de servir à la dite Ribaudeau la rente viagère de 50 fr. par an en numéraire du cours".
Le document se passe de commentaire, mais plus éloquentes encore sont les deux mentions qui figurent en marge. Voici la première. La légataire est décédée sans avoir profité du legs. Ainsi-Élisabeth Ribaudeau a disparu avant sa maîtresse. Quel coup terrible pour celle-ci qui comptait sur la fidèle compagne pour lui fermer les yeux !
Lui a-t-elle longtemps survécu ? On ne trouve pas leurs actes de décès dans le registre de l'état civil de Mauzé. Où et quand sont-elles mortes, l'une et l'autre ? Qui avait recueilli Marie-Olive des Herbiers de Létenduère ? Son fils et sa fille étaient morts. Ses petits-enfants, Auguste Pascaud de Poléon et sa sœur Henriette avaient-ils donc disparu, eux aussi, ou rompu toute relation avec leur grand-mère et renoncé d'avance à la succession ? Quoi qu'il en soit, le notaire écrivit en marge de l'acte cette seconde mention : La testatrice étant décédée dans un état d'indigence, les droits me sont dus. Mais à qui les réclamer ? ... On croit voir le hochement de tête de Me Deboneuil.
Au printemps de l'an 12, des affiches annoncèrent que le 22 floréal il serait procédé à la vente aux enchères de la maison appartenant (Ou qui avait appartenu) à la dame des Herbiers veuve Dupuy.
Les amateurs ne manquaient pas : Pierre Lachambre aîné, Jean Berton, René Meloche, Augustin Giraud, Pierre-Benjamin Lamarre et Louis Jousselin firent monter les enchères de 4.200 à 4.800 fr. Au troisième feu, la maison fut adjugée à Pierre-Benjamin Lamarre. Celui-ci déclara alors qu'il avait l'acquisition tant pour lui que pour les enfants de feu Benjamin Meloche.
Après partage et tirage au sort, le lot attribué au sieur Lamarre fut la partie de la maison contigüe au logis St-Martin. Il résulte des précisions fournies par l'acte notarié que la petite chambre ayant son aspect sur la Grand 'Rue dont Me Pierre-Benjamin Bourdon, notaire et subdélégué de l'Intendant, faisait son bureau est aujourd'hui le salon d'essayage de Mme Anita Fuhlhaber.
Raoul Germond
(1) Voir Beauchet-Filleau