Flèche Bulletin numéro 3
Juin 1964  Raoul Germond

 

 

Le quartier du pont de la teinture

Un lecteur écrit : vous avez parlé dans un précédent bulletin de la famille maternelle de René Caillié et de la boulangerie ou quatre générations de Lépine se succédèrent. Le fondateur de cette boulangerie, Barthélémy, appartenait-il a une ancienne famille de Mauzé ?

Non. Si l'on veut trouver des ancêtres de Caillié profondément enracinés a Mauzé, il faut chercher du côté des Brouillac et des barreau. Lorsque Barthélémy Lépine se maria, en 1738, il était garçon boulanger à Surgères. L'aîné de ses cousins germains, Pierre Lépine, était fermier du four banal du château et c'est vraisemblablement chez lui que Barthélémÿ travaillait. Sa mère, veuve, habitait La Rochelle. Elle ne put faire le voyage de Mauzé en raison de son grand âge-et aussi - le fait est à noter  du mauvais état des chemins. Elle donna donc pouvoir à son neveu Pierre de la représenter a la signature du contrat (3 février). (l)

L'épousée, Anne Brouillac, était fille de feu François Brouillac et de Jeanne Lavou remariée a Isaac Claveau. Il existe, non loin du pont Caillié, appelé alors le pont de la Teinture, une maison qui appartenait à cette famille Brouillac depuis le début du 18ème siècle et dont Anne reçut une partie en héritage. On ne peut affirmer cependant que c'est là qu'elle demeurait. Cette maison est mutuellement celle de M. Lucas, plombier. Faut-il ajouter qu'elle a été considérablement transformée et agrandie ? Au 18ème siècle, elle  se composait principalement d'une chambre basse, avec un grenier au-dessus, et de deux appens, derrière, l'un servant de cellier et l'autre d'écurie, qui ouvraient sur un jardin. Le petit atelier d'aujourd'hui, qui communique avec le magasin et sur la porte duquel est peinte une bouteille de propane, ne faisait pas partie de la maison : c’était une écurie appartenant à François Drapeau, riche marchand, qui possédait plusieurs immeubles de l'autre côté de la rue. Pour se rendre à leur écurie, les Brouillac empruntaient le passage commun qui existe encore. Ajoutons qu'ils avaient droit de puisage au puits deo la Bruneau dont il va être parlé.

En 1770, Jean Brouillac, fils de François, à la suite d’arrangements avec ses cohéritiers était devenu seul propriétaire de la maison et de ses dépendances. Sa fille Marie la vendit, le 7 ventôse de l’an X à un certain Pierre Blay venu de St Paul en Gâtine s’établir marchand de toile à Mauzé. Il semble que son commerce y prospéra. C’est le bisaïeul de Marcel Blay et de Mme Achille Martinet.

La maison et le jardin des Brouillac confrontaient du côté du couchant un grand jardin d'une contenance d'environ un journal et demi et à quelques constructions en bordure de le rue le tout appelé "la Bruneau », relevant de la seigneurie du château et sujet à payer 30 sols et 3 deniers de cens. Les maisons de la Bruneau seraient à chercher dans les immeubles qui appartiennent aujourd'hui à la famille Hippeau et à Maurice Mathé; mais il serait difficile de les distinguer avec précision. Ce qu'on peut affirmer, c'est qu'à la place du magasin Mathé se trouvait un quéreux avec un puits commun.

Lorsqu'on y éleva une maison appuyée aux deux autres, les ayants-droit s'opposèrent à la disparition du puits. Certains d'entre eux, paraît-il, n'ont pas désarmé. Le puits existe donc toujours : dans le mur de la maison Mathé , à droite de la devanture, on peut voir l'ouverture, fermée d'un volet, qui y donnait et, au besoin, y donnerait encore accès. Tout à côté, sur une grande façade en bois, on remarque, bien qu'elle soit très défraîchie, une plaque commémorative : Ici naquit René Caillié, le 19 novembre 1799. Les Mauzéens n'y font plus guère attention, mais les étrangers, qui ont trouvé aux Galeries Parisiennes une carte postale représentant, d'après une gravure ancienne, la maison natale de l'explorateur et ont aussitôt demandé où celle-ci se trouvait, les étrangers ne cachent pas leur surprise. Car la maison n'existe plus. Sauf la toiture, tout a été démoli et on ne voit plus que deux murs formant une sorte de long couloir. Cela sert d'entrepôt. On y a abrité des planches et des madriers, ensuite des autos endommagées. Une nouvelle destination est prévue. Peu importe maintenant : il y a longtemps que l'irréparable est accompli.

Comment les Mauzéens, qui sont pourtant si fiers que Caillié soit né dans leur petite ville n'ont-ils pas su faire un musée de sa maison natale ?

Ce qui pourrait atténuer nos regrets, c'est la pensée que, s'il est hors de doute que Caillié soit né entre ces murs, il paraît impossible, contrairement a l'opinion commune, qu'il y ait demeuré avec sa sœur et sa grand-mère après que celle-ci l'eut ramené de Rochefort. Interrogeons les archives. Dans la première moitié du 18eme siècle, la Bruneau appartenait à Me Mathieu Fradet, sergent royal, qui la vendit le 20 juillet 1749 (min. Pillard) à Dame Françoise Mathé, veuve Micou. Quand celle-ci mourut, en 1789, et que son héritage fut partagé, c'est à son petit-fils, Etienne Giraud, que furent attribuées les maisons appelées la Bruneau, avec les jardins qui en dépendaient, telles qu'en jouissaient alors les nommés Giraud, voiturier, et Bry, tisserand. On-notera qu'il n'y avait que deux locataires.

On sait que, le 28 pluviôse de l'an III, le citoyen Etienne Busseau, fondé de pouvoir de son neveu Etienne Giraud, donnait à bail pour cinq ans à François Caillié, boulanger, et Marie Barreau, veuve Lépine, sa belle-mère, une partie de la Bruneau. Laquelle ? Un acte de l'étude Deboneuil, daté du 25 prairial an V, nous fait croire que c'était non pas seulement la maison qui porte la plaque commémorative, mais toute la partie à l'ouest du quéreux. Qu'on en juge par les termes mêmes de l'acte : "Le dit Caillié, qui avait, le 28 pluviôse an III, affermé pour cinq ans une maison appartenant au citoyen Giraud moyennant 250 Fr par an, a, par ces présentes, donné à titre de sous-bail, pour le temps et espace de trois années qui commencèrent à la St Michel prochaine, a Pierre Bonneau fils, voiturier, demeurant en ce bourg de Mauzé, une chambre basse, une boutique, une chambre haute, une écurie, le jardin (à prendre seulement depuis le coin de la croisée jusqu'au bout du fossé) et la cour dans laquelle le bailleur aura seulement passage avec bœufs et charrette, avoir le droit d'y rien placer; lesquels objets font partie de la ferme consentie au citoyen Caillié le dit pluviôse an III, le surplus des bâtiments et jardin étant réservé par le bailleur... Le présent sous-bail est fait pour la somme de 250 Fr par an ....

On se rappelle que François Caillié fut emprisonné dans le courant de l'été 1799. L'année suivante, Anne Lépine, portant dans ses bras le petit René, quittait Mauzé pour s'installer près de lui a Rochefort, La grand'mère, dira-t-on, aurait pu demeurer à la Bruneau après leur départ. On va voir que cela paraît impossible.

En 1801, la Bruneau fut louée à Paul Guittard, tonnelier. En 1806, celui-ci en acheta la partie qui appartient aujourd'hui à la famille Hiμpeau. Le reste, comprenant la maison natale de Caillié, fut vendu au boucher Moinard. Les deux actes passés devant Me Augustin Giraud sont datés du même jour, 5 avril 1806. Il est noté dans le premier que "les acheteurs déclarent bien connaître l'objet désigné comme en jouissant depuis plusieurs années à titre de bail à loyer" et dans le second que "les acquéreurs, s'ils veulent jouir par eux-mêmes des objets présentement vendus, s'arrangeront avec Paul Guittard, fermier d'iceux." Aucun doute ne peut subsister : la Bruneau était entièrement occupée par Paul Guittard. La grand-mère Lépine, si elle y a jamais habité, l'avait quittée peu après le départ de sa fille pour Rochefort.

Au début du 19eme.siecle, donc, la partie est de la Bruneau appartenait au boucher Moinard. On peut penser que c'est lui qui supprima le quéreux car après sa mort bâtiments et jardin furent divisés en trois parts aussi égales que possible. C’est-à-dire qu'il y eut trois maisons et trois jardins; or nous savons qu'auparavant il n'y avait que deux petites maisons de part et d’autre d'un quéreux.

Un siècle plus tard ces trois parts étaient respectivement passées à Brisset le perruquier, Mathé le peintre, et Lagarde, charpentier et marchand de bois (Bois du Nord et du pays, lisait-on sur son enseigne).

Veut-on plus de précisions sur la maison natale de Caillié ? Elle appartint d'abord à François Moinard, charpentier amoulangeur, c'est-à-dire spécialisé dans la charpente des moulins à vent. La veuve de celui-ci la légua à une nièce, épouse de Pierre Morin, cordonnier. En 1852, les époux Morin la vendirent à Charles Rivière qui était alors le propriétaire du château et le personnage le plus important du canton. Dix ans plus tôt, lors de 1'inauguration du monument élevé, sur l'ancien pont de la Teinture, à la mémoire de Caillié, il avait prononcé un remarquable discours, exaltant magnifiquement le courage et la ténacité de l'explorateur. On se demande si, un achetant cette maison dont il n'avait nul besoin pour lui pour lui ou les siens, il n'avait pas dessein - ce serait tout à fait dans la ligne de son activité créatrice - d'en faire un musée qu'il offrirait ensuite à la commune. Mais il dut se passer à Mauzé, vers cette date, quelque chose qui nous demeure incompréhensible : nous savons, en effet, qu'en 1856, on avait cessé de célébrer la fête anniversaire instituée en 1842 en l'honneur de Caillié. D'autre part, Mme Rivière mourut en 1854 et les biens de la communauté demeurèrent indivis entre le père et les enfants. Toujours est-il qu'en 1866, la maison fut vendue à Mlle Marie Gerbault, pâtissière, qui y vécut une dizaine d'années. Après cela un trou. Les héritiers de Marie Gerbault étaient nombreux et aucun d'eux n'habitait Mauzé. Il est probable que la maison fut louée jusqu'en 1908, date à laquelle les consorts Gerbault la vendirent à Eugene Lagarde.

Quant à la partie ouest de la Bruneau, elle demeura très longtemps propriété de la famille Guittard. Paul Guittard, tonnelier, y avait ouvert une auberge. En 1806, la maison de Michel Hippeau n'existait pas, mais il devait y avoir à cette place d'anciens bâtiments de servitude et, de même qu'aujourd'hui, on pénétrait dans la cour par un grand portail. Ajoutons que ce Paul Guittard, acquéreur de la Bruneau, est le grand-père d'Héloïse Guittard qui épousa Emmanuel Guinouard, fils du dernier maître de poste. Les vieux Mauzéens se souviennent de ce couple très bourgeois qui habitait la grande maison de la Vallée où demeure maintenant le directeur de l'usine Mussy.

Entre la Bruneau et la rivière s'étendait, au 18ème siècle un vaste jardin appelé la motte de la Teinture, appartenant à François Drapeau. Il fut partagé entre ses deux filles, Marie-Madeleine qui tenait, au coin du grand chemin de St Jean d'Angély, l'auberge des Trois-Chandeliers et Catherine, épouse de Silvain Meleche. C'est dans l'ancien jardin de Marie- Madeleine que s'éleva la confortable maison bourgeoise au demeure à présent le Dr Viennet. Elle a tout juste un siècle. Elle fut construite en 1864 par Chérubin Arsicault, horloger à St Jean, qui s'y retira. Il avait épousé Mlle Rolland, fille de Jacques-Lucien Rolland, percepteur de Mauzé, et petite fille du dernier seigneur de Grange. Après sa mort, la maison fut louée, d'abord à M. Collet, beau-père de M. Besson, puis à M. Garrouste, percepteur, et vendue ensuite à  Émile Sibenaler, frère de Léon, celui qu'en raison de son infirmité on appelait - sans charité, évidemment, mais aussi sans vraie méchanceté le boiteux Sibenaler. Il était négociant en vins et menait grand train. Il se ruina.

L'immeuble appartint après lui à Jules Guittard, ancien rédacteur au ministère de l'Intérieur dont les manières distinguées faisaient impression sur beaucoup de Mauzéens, puis à M. Auguste dont la simplicité et la bonhomie parurent aussitôt bien sympathiques. Il est maintenant la propriété du Dr Viennet, chirurgien-dentiste, qui, l'ayant restauré avec goût, a installé son cabinet dans l'aile qui abritait la calèche du boiteux Sibenaler.

En face de la maison du Dr Viennet s'ouvrent l'impasse du château et, plus à l’ouest, un petit quéreux. La plupart des maisons qui bordent l'une et entourent, l’autre existaient déjà au 18ème siècle. Sans doute ont-elles été transformées depuis mais il est relativement aisé de reconnaître à l'ouest du quéreux, jusqu'à la rivière il n’y avait que des jardins. Vivaient là, entre autres, Pierre Barre, voiturier, un scieur de long du nom de Dupuy et une famille de tisserands, les Geofriaud, dont il sera parlé plus loin. François Drapeau possédait la maison du coin de l'impasse appartenant à M, Giraud, mais vraisemblablement ne l'habitait pas.

Pierre Barré avait deux filles, Madeleine et Marguerite la première épousa Jacques Geoffriaud et l’autre un scieur de long dont le nom est très connu à Mauzé, et même ailleurs, mais c’est son fils qui devait le rendre célèbre : Claude Durant, né le 23 juin 1762, à Marcoux, dans les montagnes du Forez, était venu chercher du travail a Mauzé quelques années avant la Révolution. En 1789, y payait patente. Un de ses frères, Jean, lui aussi scieur de long s’était fixé au village de Boncoeur, paroisse de St Varent, où il mourut avant l'an 13. C'est en l792 que Claude Durand épousa Marguerite Barré. Un passeport daté de 1799 nous donne son signalement. Il mesure cinq pieds six pouces, Ses cheveux sont encore bien noirs, son visage maigre; il a les yeux roux, un gros nez et le menton fourchu.

Peut-on demander davantage aux passeports ? Le 26 décembre 1801, sa femme lui donne un fils qui semble avoir été le seul enfant du ménage. Il le nomme Claude, comme lui-même comme son père, C'est ce dernier Claude Durand qui écrira plus tard le chant des Vignerons.

Notre scieur de long était certainement travailleur et économe. De nombreux actes notariés nous le montrent achetant terres et maisons, arrondissant son bien, Vers 182O, le notaire ne dit plusqu'iL est scieur de long, mais marchand. Quelques années encore et on Io dira propriétaire. Que va-t-il faire de son fils ? Assurément pas un scieur de long. Il possède maintenant nombre de journaux plantés de vigne. Il n'entend pas grand-chose à cette culture, main il en comprit l'importance au pays d'Aunis. Et si le jeune homme se consacrait à la mise en valeur des vignes paternelles ? C’est dit :Claude III sera vigneron.

Au-delà des ponts, dans la Vallée, se trouvait la maison de commerce de Jean Contancin, négociant en vins et eau-de-vie qui avait pris pour associé Ambroise Collet. C’est à ce dernier que Claude Durand confia son fils pour lui enseigner le métier de tonnelier. Le contrat fut conclu le 3 juin 1821, l’apprentissage devait dorer jusqu’au  15 février 3822. L'apprenti serait tenu de prendre part à tous les ouvrages qu’il y aurait à exécuter dans les chais.et les magasins, non seulement à tous ceux qui concernaient la tonnellerie, mais aussi au dépotage des liquides, voire même, en cas de besoin, a la d'instillation des eaux-de-vie, étant entendu cependant qu’on lui enseignerait principalement et à fond le métier de tonnelier, Le maître de chai, un nommé Gandelin, était particulièrement responsable de ses progrès.

Marguerite Barré était morte le 20 octobre 1817. En juin 1819, Claude Durand.se remaria avec Élisabeth Bonneau, veuve de Louis Boulineau, qui avait quatre enfants de son premier mariage dont une fille, Madeleine, encore très jeune au moment des seconde noces Madeleine grandit donc chez les Durand et, quand elle eut seize ans, l’ancien scieur de long la maria à son fils. C'est elle l'admirable compagne que le chanteur populaire a célébrée dans une épitaphe en vers souvent citée.

Claude Durant père avait acquis de Jean Contancin, à l’extrémité du côté de la Rochelle, « une très ancienne maison ainsi que des bâtiments, toits et masures, au milieu de terres et de vergers, le tout joignant au nord le chemin de Mauzé a Poulias." Ces bâtiments et masures étaient les restes de l'ancien prieuré de Ste Croix. C'est là qu'i1 passa ses dernières années. Il mourut le 7 mars 1840, à l'âge de 77 ans. Longtemps auparavant, il avait acheté a ses beaux-parents une maison située le long de la Grand-rue et voisine du pont de la Teinture. C'est celle qu'habite aujourd'hui Mme Morin, descendantes de Claude Durand. A la façade, d'une couleur gris foncé, un petit carré plus clair accroche le regard 2 une ancienne pierre sculptée ou l'on distingue des scies, une cognée. L'exp1ication est toute simple : c'était l'enseigne de notre scieur de long.

Ce n'est pas ici le lieu de raconter la vie de son fils. Diverses études lui ont été consacrées. Nous rassemblons seulement quelques détails que nous croyons inédits. La maison qu'habitait levigneron poète est celle qui appartient a présent à Mlle Guichard, dans l'impasse de l'Aubrée, au bord du Mignon. C'est là qu'il s'est éteint paisiblement le 24 Février 1895, à 1'âge de 93 ans. Avant de mourir, il avait composé l'épitaphe qu'il voulait qu'on gravât sur sa tombe. M. Jean Simon possède encore la feuille de papier bleu au bas de laquelle il avait précisé : Voilà la copie de l'inscription que vous ferez mettre, vous, mes héritiers, sur ma tombe, à côté de ma femme, sur une pièce de marbre noir, comme la sienne. Dernière volonté du père Durand.

Ce qui devait être gravé dans le marbre, c'étaient trois texte de Hugo : l'appréciation élogieuse que le grand poète avait portée sur le Chant des Vignerons, la lettre de 1853 par laquelle il invitait notre chansonnier à prendre le thé à Marine-Terrace et le billet qu'il lui avait envoyé après avoir reçu l'Appel aux Armes et qui commence par ces mots : Merci et bravo ! C'étaient là les lettres de noblesse du chanteur populaire de Mauzé. La lettre de 1853, encadrée, il l'avait suspendue près de son lit. Il l'a léguée à son fils, avec celle de Garibaldi; le billet de Hugo est allé à sa fille Victorine. Tout cela, bien que sous verre, est aujourd'hui en assez mauvais état. Il semble que les mites aient préféré la prose d’Hugo à celle de Garibaldi.

Le jardin du père Durand, près du Mignon, était dominé par l’une des tours des seigneurs de Mauzé qui y projetait son ombre immense. Qui sait si ce n'est pas dans l'ombre de cette tour qu'ont été ruminés certains couplets ou le chansonnier s'élève contre les inégalités flagrantes et les tutelles oppressives ? De leur côté, les châtelains n'étaient pas sans éprouver, parfois, quelque agacement de ce voisinage. Le père Durand avait un coq très bruyant, et M. Michelin confiait, paraît-il, à ses proches : " Il me semble toujours, quand, les cocoricos de ce maudit volatile me font sursauter, qu'il est en train de crier : Vive la République ! "

Revenons a celle des deux filles de Pierre Barré qui avait épousé Jacques Geoffriaud, tisserand. Le 1er mai 1848, Louis Leroy, maire provisoire ... (Cette qualification, qui figure sur le registre de l'état civil demande sans ou e une explication. au savoir qu'a cette date: les républicains socialistes tenaient encore la mairie de Mauzé, dont ils s'étaient emparés au lendemain de la révolution de Février; mais les électeurs ne s'étaient pas encore prononcés.) Louis Leroy, donc, unissait Élisabeth Geoffriaud, petite-fille de Jacques et de Madeleine Barré a Louis Blay, originaire de Cram-Chaban. De ce mariage naquirent Pierre-Louis, en 1850, et Alexandre, en 1852. Dans le second acte de naissance, la jeune maman est dite marchande. Les parents avaient, en effet, ouvert un magasin où ils vendaient de l'épicerie, de la mercerie et des tissus, Leurs affaires devaient prospérer; on les trouve bientôt propriétaires des maisons voisines et d'un jardin près de la rivière. La maison qui faisait l'angle de l'impasse et de la Grand-Rue leur aurait particulièrement convenu, mais elle n'était pas à vendre. Elle appartenait à Léonard Seris qui y tenait un café, Les Seris ont joué un certain rôle dans l'histoire de Mauzé. Descendants de Charles-Mathieu Seris né à Paris, établi a Mauzé en 1785, ils comptaient parmi les plus actifs des républicains socialistes de 1848 qui, sous la conduite de Louis Leroy et de Claude Durand, allaient manifester, sous des formes variées, leur opposition à I Louis-Napoléon Bonaparte. C'est l'un d'eux qui tenait le café du commerce ou l'on se réunissait pour lire, en cachette « L’œil du peuple ». Après le Coup d’État du 2 Décembre, un Pierre Seris fut interné. Sous l’Empire, le café du Commerce faisait l'objet d’une surveillance particulière. On se demandera si ce café suspect était celui que tenait Léonard à l'angle de l'impasse du château. C'est douteux; il y avait plusieurs Seris : on en compte quatre sur la liste des électeurs de 48. Mais le voisin de Claude Durand devait avoir lui aussi une clientèle un peu particulière. Maurice Mignot dit avoir entendu raconter à Denis Guittard, perruquier, qui fréquentait ce café, que c'était une sorte cercle. Et Denis Guittard n’était pas bonapartiste...

Léonard Seris mourut le 16 Mai 1865. On peut supposer que Louis Blay ne tarda guère à acheter la maison. Il céda-à son fils aîné une partie de son commerce, les tissus et la mercerie, ne conservant pour lui-même que l'épicerie. Le nouveau magasin prit la place du café.

Après Louis Blay, sa fille Marthe et son gendre, M. Maxime Giraud donnèrent àl'affaire l'extension d'un commerce de gros. Quant au commerce d'épicerie, il passa au second fils, Alexandre, mais il y a longtemps qu’il a disparu.

Le magasin Giraud, par contre, était encore ouvert à une date récente, Il fut remplacé pendant quelques années par l'agence du Crédit Agricole Mutuel, mais cette banque déménagea bientôt pour s'installer, non loin du champ de foire, dans un bel immeuble tout neuf.

Maintenant les volets de la devanture sont presque toujours clos. Le Vieux mauzéen qui les regarde au passage, un peu mélancoliquement, laissant sa pensée remonter le cours du temps, revoit la regrettée Madame Giraud derrière son comptoir, son père expliquant le fonctionnement de la machine à pelotonner la laine dont il était l'inventeur, et, poursuivant encore, s'attarde à imaginer quels pouvaient être, au milieu du siècle dernier, l'aspect et l'atmosphère du café bien oublié aujourd'hui de Léonard Seris.

R.G.

(I) Lettre de Louise Racaud, Veuve Lépine, du 7 Janvier 1738 (minutes Pillard)