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Bulletin numéro 1 | Décembre 1963 | Raoul Germond |
L’histoire de Mauzé contée aux Rochelais.
Le 24 juin dernier, une quarantaine de membres de l'Academie des Belles Lettres de La Rochelle conduits par leur président, M. René Mondon, au retour d'une excursion dans le Bas Poitou, se sont arrêtés a Mauzé pour visiter le château, Notre société a tenu à organiser en leur honneur une réception au cours de laquelle M. Raoul Germond, répondant à la curiosité des Visiteurs, a fait l’exposé suivant :
Nous sommes ici dans une île formée par deux bras de la rivière Venant de Mallet qui, à partir du 18éme siècle (on ne sait pas pourquoi et c'est un peu irritant) fut nommée le Mignon. Du bord de cette rivière, s'élève vers l'Est la pente douce d'un petit coteau. C'est sur cette pente et au sommet du coteau que se groupait, que se serrait le Mauzé du Moyen-Âge, sous la protection d'un château fort et le long d'un grand chemin qui conduisait de Niort a l'Océan.
Cette île ou s'élève le château fut de très bonne heure un point fortifié. Peut-être dès le temps des Romains y eut-il-là un castrum. Ce qui est certain, c'est qu'au 11éme siècle existait un château fort appartenant au comte de Poitou; Il fut donné comme fief a un certain Guillaume qui signait Guillaume le Bâtard;(c’était vraisemblablement une de ces bâtardises - il V en a beaucoup de la sorte dans l’histoire dont on ne rougit pas, bien au contraire.) C'est lui qui fonda la maison de Mauzé.
Ses descendants furent assez puissants en Aunis. Vous Venez de Voir Nieul sur l'Autize et Maillezais et vous allez, je crois Visiter la Grâce Dieu. Eh bien, lorsque le comte de Poitou fit don à St Bernard, en 1136, d'une partie de la forêt de Benon pour y fonder l'abbaye de la Grâce Dieu, Guillaume de Mauzé assistait à la donation en qualité de sénéchal du comte. Et c'est son fils, Porteclie, qui autorise en 1217 les abbés de Saint-Michel-en-l’Herme de Saint Maixent, à faire creuser, pour assécher les marais de Langon et de Vouillé, le canal qui s'appelle encore aujourd'hui canal des Cinq Abbés
La maison de Mauzé possédait aussi les seigneuries de Marans et de Millescu. Souvenez-vous de la longue guerre; sans cesse renaissante, qui, au 12éne et 13éme siècles, opposa Capétiens et '
Plantagenets. Lorsque le roi d'Angleterre, Jean-sans-Terre, débarqua sur la côte d’Aunis, Porteclie essaya de lui résister a Millescu, mais il ne put tenir plus de deux jours. La reddition de Millescu entraîna celle de Mauzé, Les Anglais occupèrent la région une dizaine d'années. Durant cette période, Jean-sans-terre séjourna à diverses reprises au château de Mauzé d'où sont, paraît-il, datées plusieurs de ses lettres patentes. Quand louis VIII, roi de France eut reconquis l'Aunis, il reprocha au seigneur de Mauzé ce que nous appellerions aujourd’hui sa collaboration avec l'occupant et, pour le punir, il lui reprit le château qu'il donna a Hugues de Lusignan, comte de la Marche. Celui-ci entreprit aussitôt de le faire reconstruire - probablement au goût du jour. C'était au début du 13émesiècle. On peut penser que les deux tours qui flanquent le château actuel datent de cette époque. Il y en avait deux autres à l*ouest : l'ancien château fort avait donc la forme d'un “carré long " avec une tour à chaque angle. Des fossés l'entouraient complètement, creusés à partir de la rivière, ainsi qu'on le voit sur les anciens plans. Un peu plus tard, Guillaume III de Mauzé obtint son pardon et ses seigneuries de Mauzé et de Marans lui furent rendues, Mais il n'entre pas dans mon propos de raconter par le menu l'histoire des familles qui ont possédé la terre et baronnie de Mauzé.
J'évoquerai maintenant le grand voyage de Charles IX autour de son royaume, organisé par Catherine de Médicis pour tenter de rassembler tous les Français, huguenots et catholiques, autour de leur jeune souverain et de mettre ainsi un terme à la guerre religieuse, Le 18 septembre1565, la Cour, qui avait dîné à Benon, arrivait à Mauzé ou elle devait passer la nuit. Mauzé n'était plus une ville fortifiée. Dès le règne de François 1er, pour échapper aux lourdes taxes, on avait commencé à démolir les remparts. Mais, venant de La Rochelle, on entrait encore par la grande porte qui portait l'image de Notre-Dame et, au bout de la longue rue, on trouvait une autre porte bien fortifiée la porte Goureau, au-delà de laquelle il fallait encore franchir la douve pour prendre le chemin de Niort. À cette date, tous les édifices dont s'enorgueillissait la petite ville : le prieuré de-Ste Croix, avec son aumônerie, près de la route de La Rochelle, la chapelle de Ste Valière, près de la route de Surgères, l'église Notre-Dame, dans l'enceinte même du château et, dans la partie haute du bourg, le vaste prieuré St Pierre qui ne comptait pas moins de dix religieux, son imposante église, les halles, le minage ,.. Tous ces édifices étaient encore intacts.
Hélas! la guerre civile n’allait pas tarder à reprendre, En 1568, églises, chapelles et prieurés furent incendiés, saccagés, dévastés par les huguenots. Quelques religieux ayant été tués, les autres s'enfuirent, Dans les années qui suivirent, selon les fluctuations de la lutte, Mauzé, point de passage important, fut occupé tour la tour par les deux parties. En 1573, nous y voyons le duc d'Anjou, le futur Henri III. En 1587 et 1588, avant et après Cautras, Henri de Béarn, le futur Henri IV, s’y arrête, y séjourne. Ainsi -« je récapitule –Jean-sans-Terre, Louis VIII, Catherine de Médicis, Henri Ill, HenriIV .,., les amateurs de cavalcades historiques, vous le voyez, n'ont que l'embarras du choix.
La paix rétablie, il se trouva que Mauzé était surtout une ville protestante. La plupart des notables, presque tous les riches marchands étaient de la religion réformée. Le culte catholique avait été interrompu pendant plus de vingt ans. En 1627, un desservant fut installé dans la paroisse, mais la reconstruction de St Pierre- d'ailleurs incomplète et sommaire et qui laissa l'édificemutilé et défiguré ne s’acheva qu'en 1684.
Cependant la politique religieuse de Louis XIV était en train de changer la situation respective de deux communautés. Tandis que l'église catholique était peu à peu relevée de ses ruines, une destruction totale et définitive menaçait le temple de la religion réformée. C'était le temps des dragonnades. Le 26 août1681, l'intendant de La Rochelle, M. Demuin, était arrivé à Mauzé avec ses arquebusiers. Inutile de développer; chacun sait quelle était pour les huguenots la cruelle alternative : abjurer ou s'expatrier. Dès le mois de septembre, un rapport du consistoire indique que sur les cinq ou six cents communiants que comptait auparavant la paroisse protestante, à peine une vingtaine avait résisté aux persécutions. En septembre 1685, le temple était démoli. Au château, deux femmes apeurées: Elisabeth Gillier, dame de Mauzé et sa mère. Elles avaient abjuré mais en éprouvaient des remords. Elles résolurent de quitter le royaume et, dans cette intention, vendirent la terre et seigneurie de Mauzé a Philippe de Valois, marquis de Villette-Mursay; aoutons cousin germain de Mme de Maintenon.
Si surprenant que cela puisse paraitre, c’est avec cette famille de grands seigneurs que commença la ruine du château. À Y réfléchir, pourtant, cela s'explique. Ils étaient barons de Mauzé, mais cette baronnie n'était que le moindre de leurs titres et Mauzé la moins plaisante, sans doute, de leurs résidences. Ils y séjournaient rarement; ils finirent par ne plus venir du tout. Charles-Philippe vivait en Bourgogne. Sa fille et unique héritière épousa le marquis de Crillon qui demeurait en Avignon. Le château de Mauzé était bien délaissé. Lorsque, en 1789, il fut vendu à Mr Alexandre de la Rade, celui-ci fit préciser dans l'acte notarié qu'il se trouvait dans un état de ruine totale et, par conséquent, inhabitable.
Deux ans après, c'était la Révolution. Le dernier baron de Mauzé partit, comme tant d'autres, pour l'émigration et ses biens furent vendus au profit de la nation. C'est un négociant de Cognac, Théodore Martell, qui acheta le château. Vous vous dites peut-être que cela commence à sentir l'eau-de-vie. Au figuré, oui; mais bientôt, c'est au propre qu'on va respirer dans l'enceinte du château de Mauzé des odeurs de futaille, de vin et d'eau-de-vie. Car Charles Rivière, ancien percepteur des contributions, qui a entrepris le commerce des eaux-de-vie d'Aunis et de Saintonge, installe en 1824, ses chais et sa brûlerie dans les servitudes qui, elles, bien entretenues par les fermiers généraux, sont demeurées en bon état.
Après sa mort, le château fut vendu a un riche propriétaire, Émile Michelin, qui devait, lui aussi, sa fortune au commerce des eaux-de-vie. Il avait épousé la fille du baron Godet de la Riboullerie. C'est pour elle que, vers 1870, il fit reconstruire le château dans le style renaissance, tel que vous le voyez maintenant.
Mesdames, Messieurs, j'en ai terminé. On m'avait demandé de vous parler du chateau, d'évoquer pour vous le Mauzé d'autrefois, mais en me recommandant d'être bref dans un programme, comme le vôtre, d'excursions et de visites, tout doit être minuté. Je me mets à votre place. Au terme d'une journée assez fatigante, ne serait-il pas mieux de regarder simplement autour de soi, en échangeant de légers propos, plutôt que d'entendre encore discourir ? Croyez bien que si j'avais-pu, j'aurais été encore plus bref. Mais l'histoire de Mauzé en douze minutes ... sincèrement je 'en ai pas trouvé le moyen. Je vous prie de m'en excuser et vous remercie de votre bienveillante attention.
Raoul Germond
Les seigneurs de Mauzé au 18ème siècle
- Philippe de Valois, marquis de Villette-Mursay. C'est le \ petit-fils d'Agrippa d'Aubigné. Il avait acheté la baronnie vers 1685. Son fils lui succéda de son vivant,
- Philippe de Valois, marquis de Villette, mort en 1706,
- Charles-Louis de Valois, comte de Mursay, fils du précédent,
- Angélique-Madeleine de Valois-Mursay, fille du précédent, épouse du marquis de Crillon,
- Émilie-Louise-Suzanne de Crillon, leur fille, morte très jeune en 1784. La baronnie est vendue cette même année à Nicolas-Silvain-Gabriel, vicomte de Gaucourt, cousin de la marquise de Crillon, qui la revend en 1767 à Alexandre de la Rade, dernier baron de Mauzé.